Protester peut éviter la trahison

Prédication du frère Thierry-Marie Hamonic pour le mercredi-saint (sur Mt 26,14-25)


« Que voulez-vous me donner pour que je vous le livre ? »

Comment en est-on arrivé là ? Car enfin, Judas n’est pas n’importe qui. C’est l’un des douze. Il fait partie de ceux qui ont eu la générosité de tout quitter pour suivre Jésus. Ce n’est pas rien ! Et cela ne rend que plus mystérieux sa décision de livrer pour trente malheureux deniers celui pour qui ils avaient naguère tout quitté.

On a écrit quantité de pages à ce sujet et même des romans. Inutile d’en inventer un autre. Reste ceci que l’on peut difficilement mettre en doute : Judas a beaucoup attendu de Jésus, et pour une raison ou une autre, son attente a été terriblement déçue. Judas a trahi Jésus parce qu’il est venu à penser que Jésus avait trahi l’espoir qu’il avait placé en lui.

Judas n’était certainement pas le seul éprouver ce sentiment. « En vérité, l’un de vous me livrera ». Or, fait stupéfiant, aucun des douze ne proteste. Au contraire : chacun à tour de rôle, rongé d’inquiétude, lui demande « serait-ce moi Seigneur » ? Pourquoi ? Précisément parce qu’en cet instant, chacun d’eux est terriblement déçu par le cours des évènements. Chacun sent bien que cette déception pourrait fort bien le conduire à la trahison.

Pierre le sait comme les autres. Ce n’est pas comme cela qu’il voyait la mission de Jésus. Seulement Pierre, lui, a eu le courage de traiter ce germe de trahison comme il convenait : en protestant ouvertement. Lorsque Jésus lui a annoncé sa passion et sa mort, Pierre a eu le réflexe salutaire de lui faire des reproches « non Seigneur, cela n’arrivera pas ». Et nous l’entendrons demain : il protestera lorsque Jésus s’apprêter à lui laver les pieds, il proteste encore : « toi Seigneur, me laver les pieds ? Jamais ».
Lorsqu’on est déçu par Dieu, il ne faut pas le garder pour soi, faire semblant d’être content de son sort. Il faut le lui dire, ouvertement, et pourquoi pas protester comme Pierre l’a fait. Car si l’on ne dit pas à Dieu sa déception, elle risque fort de se transformer en ressentiment, et le ressentiment prépare la trahison justement.

Protester est un moyen, et il faut parfois passer par là.
Mais il en est un autre : c’est celui qu’a trouvé Marie de Béthanie dans l’épisode qui précède immédiatement l’Évangile d’aujourd’hui. Elle aussi, à sa manière, a été déçue par le tour que prenait les événement : celui qui avait ressuscité son frère allait se laisser arrêter. Non, ce n’est pas cela qu’elle attendait de lui. Elle aurait pu protester elle aussi – car protester, elle sait le faire : « si tu avais été là mon frère ne serait pas mort » avait-elle dit à Jésus. Pourtant cette fois, au lieu de protester, elle verse sur ses pieds un parfum de très grand prix.

Et peut-être est-ce encore le meilleur moyen pour que notre déception ne tourne pas à l’aigreur et finalement à la trahison : lorsque Jésus ne nous donne pas ce que nous attendons de lui, donnons-lui le meilleur de nous-mêmes. Verser 300 deniers de parfum sur les pieds de Jésus est encore le meilleur moyen de ne pas le trahir pour 30 deniers. En somme donner encore plus au Christ est le plus sûr moyen de conjurer la tentation de le vendre.

Fr. Thierry-Marie Hamonic o.p.

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