Prêcheur de la bonne nouvelle du salut

dominique_2016_montpellierFrères et sœurs, chers amis, vous connaissez le baromètre de la popularité des hommes politiques. Il me semble que si nous établissions un baromètre de la réputation des saints, notre père saint Dominique risque bien de figurer au bas du classement. Il y a plusieurs raisons à cela, et je vais en rappeler deux : la première est qu’à la différence de beaucoup de ses frères ou d’autres fondateurs, il n’a pratiquement rien écrit ; et la deuxième, c’est que le tribunal de l’Inquisition, créé après lui et dans lequel il n’a donc pu jouer aucun rôle, a laissé, en tout cas en France, des traces douloureuses dans la mémoire collective et obscurci l’image de notre fondateur.

Les deux raisons que je viens d’invoquer, et d’autres encore, sont enfouies dans le passé, il est impossible d’y revenir. Mais comme saint Dominique existe d’abord et avant tout dans le présent, au travers des frères, sœurs, laïcs, qui l’approchent, le découvrent, l’aiment et contribuent à le faire connaître, ne gémissons pas sur le passé, vivons ce présent. À la manière dont Dominique voudrait sans doute que nous le vivions, ce qui sera le meilleur hommage à lui rendre.

Les lectures que nous venons d’entendre me semblent fort bien décrire cette manière : prêcheur de la bonne nouvelle, héraut de l’évangile. C’est ainsi d’ailleurs que le présente aussi l’exposition du fond de l’église. Oh ! bien sûr, il y a la vie fraternelle, bien sûr, il y a la prière, bien sûr il y a l’étude, mais l’Ordre des prêcheurs se définit d’abord par sa finalité, la prédication pour le salut des âmes. Quand j’entends Jésus dire à ses disciples, « Allez donc, de toutes les nations faîtes des disciples », j’entends dans le même souffle et comme un rappel Dominique nous exhorter : « Allez sur les chemins, faîtes savoir autour de vous que le Seigneur console son peuple ». Pour cette année de la miséricorde, peut-il exister plus bel envoi ? Oui, dans un monde où s’expriment la haine, la peur, la solitude, le rejet, allez au nom de Jésus, écoutez, consolez, encouragez, exhortez. Voilà donc à quoi l’on vous reconnaîtra pour les disciples de Dominique.

Vous pensez peut-être la tâche du prêcheur difficile, voire impossible, vos moyens limités, vos pieds bien fatigués et pas très beaux à la différence de ceux du messager d’Isaïe ? Mais la tâche fût-elle impossible pour saint Thomas d’Aquin, donnant son temps et sa vie pour la formation théologique des clercs et des laïcs de son temps et de notre temps ? La tâche fût-elle impossible pour sainte Catherine de Sienne, laïque, illettrée devenue docteur de l’Église, travaillant à la réconciliation du pape d’Avignon et de celui de Rome ? La tâche fût-elle impossible pour Bartholomée de las Casas, engagé au XVIe siècle dans un terrible combat pour la reconnaissance de l’humanité des Indiens ? La tâche fût-elle impossible pour François de Capillas martyrisé en Chine en 1649 ? La tâche fût-elle impossible pour le bienheureux Joseph Lataste, attaché à réhabiliter au XIXe siècle les femmes détenues ? La tâche fût-elle impossible pour ces innombrables frères et sœurs de notre Ordre, aujourd’hui recensés sur le nouveau site Historique de l’Ordre ?

À cœur vaillant, rien d’impossible, disait-on à une certaine époque. Cela s’est-il perdu ? Alors mettons à jour la formule : à disciple de saint Dominique, rien d’impossible. Nous vivons certes des temps difficiles, et de grands bouleversements tels que les migrations sont là pour nous le rappeler : le monde économique, politique, social que nous connaissons agonise. Mais un autre monde est en train de naître, que nous ne verrons peut-être pas nous-mêmes advenir, mais qui nous attend : non parce que nous serions les plus forts, les plus doués, les plus dynamiques, mais parce que ce monde en gestation a vraiment besoin d’une parole de vérité et de miséricorde pour sa consolation, parce que l’Esprit nous a été donné pour inventer de nouvelles manières de dire l’évangile, parce que Jésus est avec nous pour toujours jusqu’à la fin du monde, parce que notre Père Dominique, avec la discrétion que j’évoquais tout à l’heure, s’est joint à lui.

Frères et sœurs, dans ce monde qui passe, l’appel de Dominique à devenir prêcheur de la bonne nouvelle de Jésus mort et ressuscité, autrement dit d’un monde qui ne passe pas, reste plus que jamais d’actualité.