13 février 2022 – 6è Dimanche du Temps Ordinaire, année C
Jr 17,5-8 ; Ps 1 ; 1 Co 15,12.16-20 ; Lc 6,17.20-26
Homélie du frère Jean-Marc Gayraud
Y a-t-il jamais eu plus belle invitation au bonheur que le bonheur des Béatitudes ? Plus juste et plus vrai ? Un bonheur auquel il n’est pas de bonheur de ce monde qui puisse se mesurer et qu’aucun malheur ne peut enlever. Car telle est bien la tonalité si paradoxale des Béatitudes : les bonheurs d’ici-bas ont peu à voir avec lui et les malheurs ne lui sont pas un obstacle. En vérité, il n’est pas possible de savoir de quoi il est question ici sans communier au mystère du Christ, l’homme des Béatitudes. Si ce bonheur-là existe, c’est parce le Christ est Lui-même notre joie et Lui seul peut nous parler ainsi.
Nous pouvons disserter sans fin sur la question du bonheur pour lequel nous sommes faits comme sur l’insurmontable contradiction que représentent les malheurs de ce monde. Ces réflexions sont nécessaires et souvent pertinentes. Mais elles sont toujours insuffisantes, sinon décevantes, pour ne jamais pouvoir rendre compte de cette contradiction insurmontable. Qui pourrait croire en effet au bonheur face aux malheurs qui traversent inexorablement cette vie ? Qui pourrait croire à son propre bonheur face au malheur des êtres aimés ? Que pèsent tous les bonheurs du monde face au poids de souffrance dans ce monde ? Quel sens donner au bonheur tant qu’un seul être créé à l’image de Dieu demeure en souffrance ?
C’est donc à ce point de totale contradiction que nous attendent les Béatitudes. Elles parlent du bonheur en s’affrontant aux malheurs de ce monde. Elles n’envisagent pas un instant le bonheur des uns tandis que d’autres sont dans le malheur. Elles placent d’entrée de jeu le bonheur au cœur de sa contradiction même : heureux les pauvres, les affamés, les exclus, ceux qui pleurent : tels sont ici, chez Luc, les représentants de ce bonheur si paradoxal.
Ceux-là peuvent être dit heureux parce que le Christ est là-même, il est Celui-là même. La charte des Béatitudes n’est unique et sans équivalent que parce qu’elle nous renvoie au Christ en personne. Elle ne peut se ramener à un sublime propos spirituel, à un des plus grands textes spirituels de l’humanité. Impossible de comprendre et encore moins de justifier cette approche inédite du bonheur sans une expérience personnelle et vivante du Christ, de son mystère sauveur pour le monde. Impossible d’en vivre sans le don de l’Esprit.
Les Béatitudes constituent le cœur de l’Evangile. Elles nous disent que le Christ a rempli les malheurs de ce monde de sa présence et son agir sauveur. Une espérance invincible se lève, soulève et fait vivre désormais. Il n’est plus d’impasse qui ne puisse devenir passage. Le Christ est chemin de bonheur au creuset du malheur. Il est notre souffrance pour être notre joie, notre mort pour être notre vie. Dieu nous prouve ainsi son amour. Mais quel est-il donc cet amour qui ainsi se prouve ? Car si un tel amour existe, il est seul digne de foi et je peux définitivement croire au bonheur.
Invoquons sur nous l’Esprit du Christ, qu’il nous instruise sur le chemin de notre vie, jalonnée qu’elle est de heurs et de malheurs. Que l’Esprit nous retourne de l’intérieur si le bonheur venait à nous bercer de suffisance. Qu’il nous affermisse intimement si le malheur nous entrainait au désespoir. Et sachons prendre au sérieux la mise en garde qui suit les Béatitudes : un bonheur qui ferait oublier le malheur des autres, ou pire encore, qui se ferait sur le malheur des autres, ce bonheur-là n’en est pas un et ne peut que faire notre propre malheur. L’enseignement est on ne peut plus clair ici : une vie qui ne serait pas bouleversée pas la charité du Christ ne peut que courir à l’abime. Qu’advienne donc la charité du Christ : elle annonce au monde la vie éternelle dès le présent de cette vie, elle est source de toute joie. Amen.
Rétroliens : Du bonheur et du malheur - Pro Veritate