Homélie du frère Benoît-Marie Simon pour le 6e dimanche de Pâques (Ac 15,1-2.22-29 ; Ap 21,10-14.22-23 ; Jn 14,23-29)
En lisant cet évangile on est frappé par la résistance des apôtres à se laisser convaincre par le Christ. Rien n’y fait, ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi il est avantageux pour eux que Jésus les quitte, pour retourner auprès du Père. Il a beau leur promettre de « demeurer auprès » d’eux, comme d’ailleurs auprès de tous ceux qui L’aiment, cela ne les console pas vraiment. Comme si cette promesse était, pour eux, quelque chose d’abstrait !
Ceci étant, il faut bien reconnaître que la difficulté est de taille, puisqu’il s’agit tout simplement de continuer à vivre sur la terre, mais d’avoir le cœur et l’esprit avec le Christ ressuscité, c’est-à-dire au Ciel. En effet, cette fois ce n’est plus Lui qui descendra parmi nous, puisqu’Il est maintenant assis à la droite du Père ; c’est donc à notre tour de nous élever jusqu’à Lui. Et c’est bien le sens de ces paroles de saint Paul : « Nul ne connaît ce qui concerne Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. Or, nous n’avons pas reçu, nous, l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits… » (1 Co 2, 11-12). Et il précise, ailleurs : « Pour nous notre cité se trouve dans les cieux – ou, selon une vielle traduction, notre conversation est au ciel » (Ph 3, 20).
Vous l’aurez compris, c’est toute une conception de la vie chrétienne qui est en jeu ici. Et que le concile Vatican II a fait sienne en affirmant : « L’Église se considère comme exilée, en sorte qu’elle est en quête des choses d’en haut dont elle garde le goût, tournée là où le Christ se trouve, assis à la droite de Dieu, là où la vie de l’Église est cachée avec le Christ en Dieu, attendant l’heure où, avec son époux, elle apparaîtra dans la gloire » (Vatican II, Lumen Gentium, c.1).
Reconnaissons-le, cette façon de voir les choses n’est pas évidente.
On peut être tenté, en effet, d’interpréter le fait que le Verbe, en s’incarnant, a voulu partager notre condition humaine, comme le signe indiscutable que ce qui compte avant tout c’est la vie d’ici-bas. Sauf que, justement, le Christ explique qu’il doit retourner vers le Père. Ce qui, en clair, signifie ceci : Il n’est pas venu pour rester, mais pour nous entraîner, à sa suite, dans le Royaume des Cieux qui, faut-il le rappeler, n’est pas de ce monde. Alors, n’essayons pas, comme les apôtres, de retenir le Christ, c’est-à-dire d’abaisser le ciel jusqu’à nous, plutôt que nous hisser jusqu’à lui. Vous l’aurez remarqué : le Christ ressuscité n’a pas repris la vie qu’il menait auparavant avec ces disciples. Elle n’était qu’un moyen, en aucune façon une fin en soi. Ne l’oublions pas.
Très bien, diront certains. Mais chaque chose en son temps. Le Christ nous a montré l’exemple, contentons-nous de l’imiter. Et puis un jour, mais pas tout de suite, nous le rejoindrons. En attendant, nous sommes sur la terre. Mais, si vraiment l’Évangile se réduisait à cela, pourquoi le Christ nous promettrait-il de demeurer en nous ? Il devrait juste se contenter de nous rappeler qu’Il nous attend. Bref, il ne s’agit pas d’être habité par des convictions et des élans généreux, mais par la vie même du ressuscité ! Ce qui, vous en conviendrez, est tout autre chose.
D’où ces deux affirmations surprenantes contenues dans cet évangile.
D’abord, il y a ce verset, qui sonne comme une condition : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole, mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui« . En réalité, il nous rappelle cette vérité : celui qui n’aime pas le Christ par-dessus tout, cherchera forcément à plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu, et, insensiblement, son cœur s’éloignera de Lui.
Ensuite, il y a ce passage dans lequel le Christ oppose la paix qu’Il nous laisse à celle que donne le monde. Ainsi donc, il y a la paix que visent les diplomates, en signant des accords, c’est-à-dire en cherchant des compromis à tout prix. Et puis il y a celle du Christ, qui est une invitation à tout lâcher pour se perdre en Dieu. Dans le premier cas, au mieux, on obtient une trêve sans lendemain. En d’autres termes, on se contente de gagner un peu de temps. Au contraire, la paix que donne le Christ, dure autant que la vie éternelle ! Autre différence, qui risque de heurter notre sensibilité moderne. Pour atteindre la paix, les hommes s’efforcent par tous les moyens d’éviter tout conflit. Le Christ, par contre, dans un de ses paradoxes dont l’Évangile a le secret, n’a pas hésité à affirmer qu’Il est aussi venu apporter la guerre ! C’est une invitation à ne pas oublier le mystère de la Croix, maintenant que nous célébrons la résurrection. Et puis, bien sûr, c’est aussi un encouragement à ne pas fuir le combat, chaque fois que la vérité est en jeu.
Reste à accomplir ce saut dans le monde de Dieu ? Ce qui, bien entendu, serait absolument impossible, si le Christ ne nous envoyait pas l’Esprit Saint.
A ceux qui, malgré tout, s’étonneraient encore de la difficulté pour les apôtres à laisser partir le Christ, je ferai remarquer, qu’eux, au moins, sont restés inconsolables. Tandis que nous, nous risquons toujours de prendre trop facilement notre parti de ce qu’Il est au Ciel.