La nuit, son cœur n’a pas de repos, car il n’a pas le désir de la vie éternelle.
La parabole de l’homme riche – Rembrandt 1627
Lc 12, 13-21
» Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même,
au lieu d’être riche en vue de Dieu. »
de Fr Benoît-Marie Simon:
Version phonique:
Version écrite:
Il faut désirer la vie éternelle…
On demande à Jésus d’intervenir dans un partage d’héritage. Signe, tout de même, qu’on reconnaît son autorité et sa sagesse. Il pourrait donc facilement jouer le rôle d’arbitre, et rétablir ainsi l’harmonie et la paix. Il en a le droit, puisqu’il est le Créateur. Au lieu de quoi, d’une certaine façon, il se défile. Et puis, ensuite, il profite de cette occasion pour nous inviter à dépasser notre façon très humaine d’affronter le problème du partage des richesses et du respect de la justice sociale.
Déjà, la voix de la conscience nous ordonne d’être juste : c’est-à-dire ne prendre que ce qui nous est dû et donner aux autres ce à quoi ils ont droit. Mais le Christ nous invite à aller plus loin. Il s’attaque à la racine ultime de tous les conflits ou disputes : le désir de possession, qui fait qu’on refuse de lâcher ce qu’on estime nous être dû. Nul doute, en effet, que si, tous, nous étions prêts à renoncer même à ce à quoi nous avons droit et qui nous appartient légitimement, tout motif de guerre disparaîtrait.
Le remède est radical. Personne ne le niera. Mais, à supposer qu’on puisse atteindre un tel sommet, on reste perplexe. En effet, il faudra très vite accepter l’injustice, sans se défendre. En avons-nous le droit ? Pouvons-nous inviter tous les hommes à entrer dans cette optique ? Nous le savons bien : le besoin de voir la justice triompher est un des ressorts les plus fondamentaux de la nature humaine et de la vie en société. D’où la saine colère que nous éprouvons, tous, devant une injustice particulièrement criante ! Comment dépasser ces sentiments naturels ?
Encore une fois les paroles du Christ sont une occasion de scandale, dans la mesure où, au lieu de nous encourager à travailler pour que la justice règne ici-bas, Il nous invite à ne pas nous défendre, à nous laisser dépouiller, et à convaincre les autres à faire de même !
En même temps, il ne se contente pas de nous exhorter à coup de « il faut ». Il explique, par des exemples et des raisonnements, pourquoi cette attitude est la seule sagesse véritable.
Toute la force de son argumentation dépend de ces deux vérités intimement liées. Premièrement, nous allons tous mourir et nous ne savons ni le jour ni l’heure. Deuxièmement, nous sommes faits pour une autre vie. Sans cette double considération, le discours du Christ est inacceptable.
Nous sommes donc invités à nous rappeler que cette mort, à laquelle nous ne pourrons pas échapper, nous devrons l’accepter consciemment, même si nous savons pas comment elle va se présenter à nous. De la même façon, notre liberté doit consentir à ce que Dieu nous emporte dans la vie éternelle, qui est d’une autre nature que celle que nous vivons actuellement.
Or, tout cela se révélera vite impossible, si nous ne nous détachons pas radicalement des biens de ce monde. C’est seulement à cette condition que nous serons prêts et que nous pourrons répondre oui, le jour où l’éternité frappera à la porte de notre cœur, parce que, comme le dit l’Évangile de ce jour : « on va te redemander ton âme » !
Il ne s’agit pas, vous l’aurez compris, d’être obsédé de façon morbide et malsaine par la mort. Il s’agit de ne pas la nier. Et il y a certaines façons d’en parler qui, en fait, trichent avec cette dure réalité. Un peu comme si un chirurgien vous expliquait qu’il va vous redonner une jambe neuve, en omettant de préciser que l’opération sera longue, difficile, incertaine, et que vous souffrirez et serez immobilisé pendant un certain temps.
Écoutez ce que dit une femme ayant accompagné jusqu’au bout l’homme qu’elle aimait qui mourrait de la maladie de Charcot :
« La nuit passée auprès de Léonard, à l’accompagner pour vivre ses dernières heures, me rappelle les nuits avec nos enfants lorsqu’ils étaient nourrissons. Je contemple mon mari comme je contemplais mes petits éperdues d’amour. Ce sont des instants d’éternité, où l’on se rapproche du Créateur. Il donne la vie, il la reprend pour nous faire entrer dans son éternité. Mystère de la naissance, sur cette terre comme au ciel. (…)
Je touche l’abandon de Léonard, tel l’abandon de nos tout petits nourrissons. C’est dur mais c’est beau. C’est beau, mais c’est dur. Rude même. Nous sommes l’un et l’autre dépouillés de tout devant la réalité de la mort qui vient » (Si je ne peux plus marcher, je courrai !, p. 171)
Certains d’entre vous ne l’ont pas oublié : la tradition de l’Église invite de tout temps les chrétiens à méditer sur ce qu’on appelle les fins dernières.
Petite précision. Cette méditation est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Elle prouve de façon évidente qu’il faut se détacher des biens de ce monde, et pas seulement du péché, pour être sauvé. Pour autant, cette conviction ne suffira pas à nous établir dans le détachement absolu. Sinon le Christ aurait réussi à nous convaincre tous. En vérité, seul l’amour gratuit envers le Fils de Dieu parce qu’Il a les paroles de la vie éternelle fera de nous des saints.
Quoi qu’il en soit, seul le désir du ciel peut délivrer le cœur de l’homme de toute convoitise. De sorte que toute autre solution aux problèmes de justice sociale est, au fond, illusoire. On peut, certes, de temps en temps, limiter les dégâts, éviter des injustices trop criantes, et encore…
Voilà pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se contenter de prendre part aux combats de tous ceux qui veulent plus de justice, d’accueil… Ils doivent parler de la vie éternelle, et, surtout, la désirer efficacement.
Fr Benoît-Marie Simon op.
Lien avec la décoration florale du jour: La vraie richesse… celle du cœur.