« Il leur était soumis »

Dimanche 29 décembre 2024
Fête de la Sainte Famille, année C
1 S 1, 20-22.24-28 ; Ps 83 (84) ; 1 Jn 3, 1-2.21-24 ; Lc 2, 41-52
Homélie du frère Réginald Baconin



Prêcher sur la Sainte Famille de Nazareth n’est pas le jour le plus facile à prêcher pour un prêtre. A priori, il est beaucoup plus facile de prêcher sur un saint particulier, sur la façon dont la grâce de Dieu s’est déployée dans le cœur d’une personne particulière, que sur la sainteté d’une famille, dans son ensemble. L’histoire de l’Église est traversée par des milliers et des milliers de familles qui présentent un modèle de sainteté particulier où l’Évangile fleurit, avec comme modèle premier, la sainte famille de Nazareth. Il n’en demeure pas moins que la question de qui célèbre-t-on la sainteté dans sa version, dirions-nous « globale », familiale, reste entière ! Une famille est d’abord composée d’individus, et bien sûr, si l’on se penche sur chacun de ses membres, Marie est Sainte, Joseph est Saint, et bien sûr, Jésus est Saint, il est même « Le » Saint, source de toute sainteté, chacun vit de la vie de la grâce selon ce qu’il est. Notre calendrier liturgique nous donne de nombreuses occasions de les célébrer chacun à titre individuel ; Marie n’est pas Jésus, Jésus n’est pas Joseph, et Joseph n’est pas Marie… La grâce de Dieu a trouvé un chemin original dans le cœur de chacun d’entre eux. Mais en quoi consiste alors la sainteté de la famille comme famille ? Est-ce une somme de la sainteté individuelle de chacun de ses membres ? Ce n’est pas parce que l’un des parents par exemple est saint, que l’autre le sera également. La célèbre Sainte Rita était bien mariée à quelqu’un de violent et qui abusait d’elle et qui n’avait rien d’un saint ; de même, ce n’est pas parce que les parents sont saints que les enfants le seront nécessairement, la sainteté n’est pas génétique… Que célèbre-t-on lorsqu’on les célèbre tous ensemble ?

Dans cet Évangile, la première chose qui paraît la plus évidente, c’est que Marie, Joseph et Jésus sont représentés comme une unité d’abord lorsqu’ils se rendent à Jérusalem pour prendre part aux célébrations de la Pâque, et ensuite lorsque Marie et Joseph se mettent à la recherche de Jésus. Cela peut sembler banal et commun, mais ce n’est pas sans importance, car cela souligne que la famille, en tant que cellule sociale et humaine première, est le premier lieu où d’une part, l’on grandit dans la foi, où l’enfant reçoit non seulement la vie de façon naturelle, de la part de ses parents, mais c’est également le cadre qui lui permettra d’épanouir la vie de la grâce reçue de Dieu au baptême et à en vivre pleinement. C’est ce qui nous est dit au sujet de Jésus, qui, avec Marie et Joseph « grandissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2, 52). L’humanité de Jésus ainsi, grandit et s’épanouit dans une dépendance vis-à-vis de Marie et Joseph, ses parents.

Comme le dira Jésus aux Sadducéens lors de la dispute sur le mariage, en citant le livre de la Genèse : « Et les deux deviendront une seule chair ; ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni » (Mc 10, 8-9). Si Jésus insiste tant sur l’indissolubilité de l’union entre les époux, c’est que nous avons tendance à oublier l’importance de la famille dans le projet de Dieu pour l’humanité, nous avons tendance à oublier que Dieu veut que la famille participe comme « une seule personne » à son plan de salut. Lorsque nous voyons la famille avec les yeux de Dieu, dans la perspective du mystère de notre Rédemption et de notre Salut, nous sommes loin de la simple conception contractuelle que l’on trouve dans la plupart des sociétés du monde.

La famille n’est pas un « sacrement du couple », mais le sacrement de l’amour de Dieu qui unit les époux entre eux aussi étroitement que l’unité des trois personnes divines de la Très Sainte Trinité qui sont un seul Dieu. C’est elle le modèle de l’union des époux, c’est le cœur même de ce qu’est une famille chrétienne, dont l’exemple le plus parfait est celui formé par Joseph, Marie et Jésus. Oui, c’est une vraie famille, et c’est pourquoi nous avons prié Dieu dans la collecte d’aujourd’hui, pour qu’il nous accorde de les imiter, en pratiquant les vertus de la vie familiale et les liens de la charité.

Nous voyons maintenant, peut-être plus précisément, l’importance de la sainteté dans la famille. En effet, Joseph est saint, Marie est sainte et Jésus est le Saint, mais leur sainteté a une forme commune spécifique, car elle a été en quelque sorte façonnée par l’unité sacramentelle de leur famille. Sans aucun doute, la sainteté de Joseph et de Marie n’aurait pas trouvé la même expression, s’ils n’avaient pas été liés par le lien sacré du mariage. Leur sainteté est originale pour l’un et pour l’autre, mais comme ils forment « une seule chair », il faut qu’il y ait une expression commune de cette sainteté. La sainteté de chacun se façonne en recevant quelque chose de la sainteté de l’autre, comme Marie a reçu quelque chose de celle de Joseph en tant que sa femme, et inversement pour Joseph de la part de Marie.

Permettez-moi de penser un peu la même chose à propos de Jésus. Marie et Joseph l’ont reçu comme un don de Dieu, comme tout parent doit voir ses enfants. Dieu leur a confié le développement de la nature humaine de Jésus, qui, rappelons-le, est la même que la mienne et la vôtre, tout comme il confie à tous les parents le développement des enfants qu’il leur donne, à travers l’éducation qu’ils leur donnent. Il s’agit de leur apprendre à vivre l’Évangile en tant qu’enfants d’une seule famille humaine rachetée par le sang de son Sauveur.

Je suis convaincu que l’expression de la sainteté de Jésus à travers sa nature humaine est en quelque sorte façonnée par l’éducation de Marie et de Joseph, comme le dit l’Évangile : « il leur était soumis » (Lc 2, 51).

Nous pouvons prier aujourd’hui tout particulièrement pour les familles qui sont éloignées, séparées, en difficulté dans ces jours de célébration de Noël. Ces situations douloureuses nous montrent à quel point la charité et l’amour de Dieu sont le cœur battant de toute famille chrétienne, et le maintenir vivant est tout l’enjeu de la grâce de la sainteté familiale. Que le Christ soit aujourd’hui et chaque jour le principe d’unité de toutes nos familles comme il l’a été pour Marie et Joseph.

AMEN.

 

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