Justice miséricordieuse… de Fr Matthieu Gauthier.

De tout mon cœur, j’implore ton pardon Seigneur

Justice miséricordieuse

Mt 18, 21-35

« Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi,
combien de fois dois-je lui pardonner ? »

 

Homélie dominicale de Fr Mathieu Gauthier:

Version phonique:

 

Version écrite:

Justice miséricordieuse.

   Justice, ou miséricorde ? La miséricorde au dépens de la justice ? Ou la justice aux dépens de la miséricorde ?

   Quand j’étais petit, on m’avait appris que donner, c’est donner, et reprendre, c’est voler. Alors, remettre une dette, c’est remettre une dette, et reprendre ce qu’on a remis… qu’est-ce que c’est ? Jamais je n’ai vu quelqu’un remettre une dette et dix minutes après, décider qu’elle est finalement maintenue. Quel abus de pouvoir ! Quel manque à la parole donnée ! Qu’est-ce qui justifie l’attitude du Roi de cette parabole qui paraît particulièrement arbitraire et tyrannique ? D’autant plus que ce n’est pas un cas isolé dans la prédication de Jésus : dans la parabole des ouvriers de la première à la onzième heure, le maître dit : « Prends ce qui te revient et va-t-en ! N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? » Et dans la parabole des talents : « Tu aurais pu mettre mon argent à la banque et j’aurais reçu des intérêts ! Dehors ! Là où il y a des pleurs et des grincements de dents ! »

   Tout d’abord, pour éclaircir la question, il est bon de regarder qui sont les destinataires historiques des paraboles de Jésus. Il y a en gros trois catégories : la foule, les grands prêtres, et les disciples. Eh bien il se trouve que les trois paraboles citées plus haut sont toutes adressées aux disciples. En particulier à des disciples qui ont une mentalité plutôt comptable, qui ont un sens très affiné de ce que certains appellent la justice commutative, celle qui établit des proportions. Quoi de plus naturel : entre les hommes, il y a un lien évident entre la quantité de travail fourni et le salaire. Mais avec Dieu, peut-on réclamer cette proportion ? Entre les hommes, rien d’anormal à rendre tel quel ce qui nous a été confié. Mais à Dieu, peut-on rendre ce qui est déposé en nous en lui disant : Nous sommes quittes ? Et ce brave serviteur d’aujourd’hui, qui cherche à rembourser son roi, savez-vous combien il doit ? Dix mille talents, savez-vous combien ça fait d’euros ? Cinq milliards ! Et il imagine qu’avec un peu de temps, il va tout rembourser ? Il ne se rend même pas compte qu’il est insolvable ! Il nous donne l’impression qu’il ne s’est même pas aperçu qu’on lui avait remis sa dette, ce qu’il n’a d’ailleurs pas demandé. Or ces paraboles s’adressent à des personnes qui ont choisi de mettre leurs pas dans ceux de Jésus. Ils ont entendu et accepté sa Parole de miséricorde. Cette Parole a-t-elle fait quelque changement dans leur cœurs ? Se sont-ils laissés toucher par elle ? Jésus met le doigt sur cette mentalité comptable qui tue ce qu’il a semé en eux ! Voici pour quoi il dit : « C’est ainsi que votre Père du ciel vous traitera si vous ne pardonnez pas à vos frères. »

   Mais dans la parabole, où est-il ? Dans chaque parabole, Jésus est effectivement présent d’une manière ou d’une autre : dans le grain semé, dans le trésor du champ, dans le maître du domaine qui trouve de l’ivraie au milieu de son bon grain. Or ici, ce roi, qui aurait pu être lui-même, il dit que c’est le Père du ciel. Où lui-même se cache-t-il donc ? La conclusion que je viens de donner de Jésus aurait pu être trouvée dans l’Ancien Testament : on en a entendu une ébauche chez Ben Sirac, et l’exigence de la transformation de notre cœur se retrouve dans bien des prophètes. Mais écoutons plus attentivement la finale de Jésus : « … si vous ne pardonnez pas, du fond du cœur. » C’est ce fond du cœur qui change tout. Comme nous sommes bien élevés, nous n’agrippons pas nos frères au col pour qu’ils nous remboursent. Alors, nous pourrions donc nous sentir peu concerné par la parabole. Eh bien Jésus ici fait comme en d’autres endroits : il amplifie les exigences de la loi ancienne. « On vous a dit ? Eh bien moi, je vous dis… » Ce qui change, c’est que Jésus est mort et ressuscité pour nous et pour la multitude. Il a pris notre humanité, et l’a rendue capable de pardonner du fond du cœur. La difficulté à pardonner, parfois insurmontable, est abolie en lui.

   Pour autant, lorsque nous sommes face à notre offenseur, ne nous étonnons pas qu’il faille du temps pour pardonner du fond du cœur. Si nous avons réussi à renoncer à nous venger, alors Jésus nous félicite : « Tu as réussi à briser la spirale de la violence. L’offense te fait encore mal. Tu te révoltes contre l’injustice qui a été commise, et tu as raison. Mais tu as réussi à ne pas la confondre avec ton offenseur. Pour autant, ce n’est pas encore pardonner du fond du cœur. » Si nous arrivons à ne pas souhaiter du mal à notre offenseur, à ne pas se dire : C’est bien fait, lorsqu’il lui arrive une tuile, Jésus nous dit : « C’est beau, tu approches du Royaume, mais ce n’est pas encore ça, du fond du cœur. » Si nous nous mettons à prier pour notre offenseur, il nous dit : «  Bravo. Le bien prend le pas sur le mal. Mais ce n’est pas encore pardonner du fond du cœur. » Si nous sommes prêts à commencer une nouvelle relation avec notre offenseur, voire une relation d’amitié, Jésus nous dit : « Magnifique. Tu progresses encore. Mais ce n’est pas encore du fond du cœur. »

   Si nous sommes prêts à donner notre vie pour notre offenseur, alors Jésus nous dit : « Quelle grâce. L’Esprit Saint habite en toi. Ce n’est plus toi qui vis, c’est moi qui vis en toi. Tu m’es devenu semblable : ta miséricorde est devenue justice, et ta justice est devenue miséricorde. »

Frère Matthieu Gauthier op.

Lien vers la liturgie florale: Savoir pardonner… pour être pardonné.