La religion de la joue tendue… de Fr Jorel François.

La religion de la joue tendue, ou, est-ce si compliqué de pardonner ?

Est-ce si simple d'aimer...

Abside de la chapelle de la Vierge. Cathédrale de Westminster.

Lc 6, 27-38

 » Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. »

 

Homélie dominicale de Fr Jorel François:

Version phonique:

Version écrite:

La religion de la joue tendue

     Sœurs et frères, vous est-il arrivé de vous demander ce que c’est que le christianisme, ou vous a-t-on déjà posé la question et ainsi vous trouver en devoir de tenter de donner une réponse?

      Tout comme Jésus rappelle que le message de la Torah se résume dans l’amour de Dieu et du prochain, il faut donc aussi affirmer et assumer que la quintessence du christianisme n’est pas autre chose que les béatitudes et ce que nous venons d’entendre qui leur fait suite dans l’évangile selon saint Luc. La fine pointe du christianisme est dans ce qui vient de nous être redit et soumis à notre méditation, et il n’est qu’une autre façon de rappeler l’amour de Dieu et du prochain qui sont un seul et même amour. Les efforts pour contourner ces exigences ont souvent conduit à un christianisme mitigé, frelaté, à des arrangements qui font que le chrétien n’est souvent pas meilleur que les autres.

     Il arrive pourtant que dans l’Église, sous prétexte de faire « raisonnable » (comme si l’évangile ne l’était pas), sous prétexte de réalisme (comme si les invitations de Jésus étaient irréalistes), il arrive donc que certains trouvent des excuses pour nuancer et trafiquer ce qui est ici demandé, ils inventent des tours de passe-passe, échafaudent des stratagèmes pour prendre la tangente et dire autre chose. Ainsi n’est-il pas étonnant que le sel s’affadisse, que la lumière se change en ténèbres, que l’évangile soit vidé de son essence, et la violence, et la haine continuent de faire leur chemin, de se multiplier et de se propager presque tout naturellement au milieu des humains.

     Si Jésus cherchait des tours de passe-passe pour répliquer et rendre la pareille au méchant, s’il cherchait à être pragmatique et politiquement correct, il aurait constitué une armée de milices, de scribes et de rhéteurs, et ceux-ci à leur tour, armés d’épées, de lances et de piques, et de bons mots, l’auraient défendu au sanhédrin des pharisiens et des prêtres, et au tribunal de Pilate et de César; ils auraient combattu pour lui, et il ne serait peut-être pas mort sur la croix mais paisiblement, tranquillement, en toute bonne conscience, dans son lit. Mais tel n’est pas le cas. Jésus s’est plutôt entouré de disciples, de rustauds, tel Pierre. Et s’il est vrai que ce dernier avait sorti une épée, il est tout aussi vrai que Jésus l’avait invité à la remettre dans son fourreau. Ce que veut Jésus avant tout, ce sont des témoins, des hommes de miséricorde, des hommes francs, unifiés, des hommes selon le cœur du Dieu, des hommes qui, sans être masochistes ni suicidaires, acceptent pourtant de prendre leur croix à sa suite.

     Certaines personnes étrangères au christianisme ont bien compris ce qui est au cœur de cette religion, ce qui en est l’essence et qui fait sa différence d’avec les autres religions trop humaines, en tant qu’elles n’invitent pas les hommes à se dépasser, à aller jusqu’au bout de ce qu’ils sont ou devraient être : des êtres créés à l’image de Dieu, des êtres de compassion, de miséricorde travaillés par l’amour de Dieu et du prochain.

     Parce que trop humaines, ces religions restent prisonnières du stade de la justice vindicative, de la justice rétributive. Amour du frère, mais indifférence et peut-même haine de l’étranger. Œil pour œil, dent pour dent et peut-être même davantage. Autant que possible rendre la pareille à l’autre… et pas plus et pas moins, ou même plus, au moins quand il s’agit de lui rendre le mal pour le mal.

     Ne pas rendre le mal pour le bien est certes déjà méritoire dans une certaine échelle de valeurs : nombre de personnes n’en sont malheureusement pas encore rendus à ce stade. Mais, écoutons Jésus le redire aux disciples qu’il vient de choisir, écoutons-le le redire dans son échelle à lui : si vous ne faites du bien qu’à ceux qui vous font du bien, si vous êtes agréables et gentils seulement avec ceux qui le sont avec vous, vous ne faites pas mieux que les païens.

     Et comme nous savons bien, le chrétien est par ailleurs invité à pardonner non seulement sept fois, ce qui est déjà beaucoup, mais soixante-dix-sept fois sept fois et donc sans limite… Jésus veut que son disciple soit comme son Père qui fait lever le soleil et tomber la pluie sur les bons comme les méchants et qui accepte que son Fils soit livré aux mains de ces derniers.

     Le christianisme est alors bel et bien, comme beaucoup l’ont compris, la religion de la joue tendue, non en tant qu’il encourage à tendre le dos et s’attirer les coups, mais en tant qu’il commande de ne pas résister au méchant ni de rendre coup pour coup, en tant qu’il commande l’amour universel – et donc aussi des ennemis.

     Répondre à la violence par la violence, à l’injustice par l’injustice, fulminer des anathèmes pour faire justice à Dieu ou plutôt à la religion quand ce n’est pas à soi-même, ériger des bûchers sur fond de doctrine de guerres dite justes parce qu’il faut être réalistes, pragmatiques, ce n’est pas s’ouvrir au royaume en construction au-dedans de nous mais rester dans le cercle de la loi du talion, alimenter le cycle de la violence.

     Bien avant Jésus, Socrate soutenait qu’il y a plus mérite à subir l’injustice qu’à la commettre. Non seulement l’évangile fait sienne cette maxime, mais encore, il nous rappelle que ne pas rendre violence pour violence, et donc sortir de la logique de la rétribution, c’est la meilleure façon d’ouvrir une brèche dans le cercle infernal de la violence.

     Toute pirouette qui permet d’échapper à cette exigence évangélique reste une pirouette, un tour de passe-passe diabolique.

     De deux choses l’une, ou l’évangile est déraisonnable, trop exigeant pour être appliqué, et auquel cas Jésus nous demande l’impossible et l’absurde, ou il est raisonnable et tout à fait applicable dans notre vie d’hommes.

      J’ose croire que le christianisme tel que voulu par le Christ, le christianisme raisonnable est bel et bien dans la politique de la joue tendue.Cette politique est raisonnable parce qu’elle est possible. Elle est possible parce que celui qui nous la demande l’a vécue jusqu’au bout. Politique de la joue tendue comme voie efficace pour désamorcer la haine, politique de la joue tendue pour désactiver la machine de la violence. Voie indiquée au vrai disciple du Christ, voie proposée à tout homme de bonne volonté qui accepte de boire le calice jusqu’à la lie, voie exigée au chrétien qui veux prendre le christianisme au sérieux et qui ne cherche pas à s’en servir pour ses propres intérêts.

     Mais on le voit bien, le programme est exigeant, ardu, éreintant même, et il l’est d’autant plus que le monde n’est pas le royaume, et que non seulement tout le monde n’est pas chrétien, mais encore ceux qui essayent de l’être sont rarement à la hauteur de l’idéal proposé. Malgré la grâce, la réalité du péché est là, persistante, permanente. Elle est en œuvre dans le monde, dans nos cœurs et ne nous laisse pas de répit.

     Prions, sœurs et frères, afin de toujours rester ouverts à la grâce et que forts de cette grâce, nous puissions suivre le Christ à travers l’étroite porte de la vraie charité, de l’amour de Dieu et du prochain. Amen.

Fr Jorel François op.

Lien avec la décoration florale du jour: Á la mesure de l’amour de Jésus…