Les disciples d’Emmaüs se trompaient dans leur espérance

Prédication du frère Thierry-Marie Hamonic pour le 3e dimanche de Pâques, évangile des disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-35)


Les disciples d'Emmaüs

Ainsi donc Jésus ressuscité est apparu à des personnes qui l’ont bien connu, et qui pourtant ont été incapables de le reconnaître. Ce fut par ex. le cas de Marie-Madeleine qui l’avait pris pour un improbable jardinier voleur de cadavres. Ici, c’est encore plus surprenant : voilà deux disciples qui cheminent longuement avec lui et qui ne voient pas que ce Jésus dont ils parlent est précisément celui à qui ils sont en train de s’adresser ! Telle fut l’incroyable expérience des disciples d’Emmaüs.

Comment élucider cette énigme ? Notre évangile se borne à nous dire ceci « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ». Empêchés par quoi ? Par l’apparence inhabituelle de Jésus ? Sans doute – et c’est du reste ce que dira la finale de l’Évangile de Marc. Mais à mon sens, la clef de cette énigme se cache dans cet aveu : « …et nous qui espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël !»

Au soir du Vendredi Saint, les espoirs qu’ils plaçaient en Jésus sont morts avec lui, et la pierre du tombeau s’est lourdement refermée dessus. Et pourtant, au début, cette histoire leur avait semblé si prometteuse. Jésus s’était manifesté comme un prophète puissant en œuvres et en paroles. Avec de tels pouvoirs surnaturels, ils en avaient été sûrs : c’est lui qui allait restaurer la royauté en Israël. Ils s’étaient donc formé une certaine image de Jésus et de sa mission, et ils y avaient investi tous leurs espoirs.

Mais voilà : les grands prêtres s’étaient mis d’accord avec l’oppresseur romain – comble de l’horreur ! – pour le mettre à mort. Leurs espérances messianiques s’étaient lamentablement écroulées. Les disciples d’Emmaüs estimaient n’avoir plus rien à attendre de ce côté-là. La preuve ? Des femmes leur apprennent que le tombeau est vide, et que des anges leur même avaient déclaré vivant. Eh bien au lieu de se précipiter, comme Pierre et Jean, vers le tombeau vide, ils s’en sont au contraire éloignés pour retourner chez eux et ruminer leurs déceptions. Jésus a été mis au tombeau il n’y avait donc plus rien à espérer de lui : point final ! Circulez, il n’y a plus rien à voir, que chacun aille se confiner chez soi. Bref, leurs cœurs figés sur leurs attentes déçues, avait aveuglé leur yeux… au point de ne même pas pouvoir reconnaître en cet inconnu qui les accompagnait celui là même dont ils parlaient.

 Dans ses Principes de médecine expérimentale, Claude Bernard, ce grand savant du XIX° siècle, disait : C’est ce que nous pensons déjà connaître qui nous empêche souvent d’apprendre. Eh bien on pourrait ajouter : ce sont souvent nos espérance à courtes vues qui empêchent nos cœurs de s’ouvrir à des espérances plus larges.

II

« De quoi discutiez-vous en chemin ? » Mais de tout çà, pardi ! De tous leurs espoirs déçus ! Sans doute, Jésus sait bien que l’on parle de lui. Il est même plutôt bien placé pour savoir ce qui s’est passé au cours de ces trois derniers jours ! S’il pose la question, c’est parce que ce que l’on dit lui correspond si mal à ce qu’il vient de vivre que, cette fois, c’est Jésus qui ne s’y reconnaît pas ! Jésus vient de remporter sa grande victoire sur la mort et le péché, il vient de sauver l’humanité ! Or voici que les disciples ne parlent que de mort, de déception, d’échec. Comment se reconnaîtrait-il dans les propos désespérés que l’on tient à son sujet ?

Jésus va-t-il tout de suite les détromper ? Jésus va-t-il immédiatement se faire reconnaître ? Surtout pas ! Ces disciples, à bout de nerfs, sont dans un tel état qu’ils détaleraient comme des lapins en croyant avoir affaire à un fantôme ! Jésus va donc commencer par leur offrir la possibilité d’exprimer  tout ce qu’ils ont sur le cœur. Il faut d’abord qu’ils lui exposent le fond de leur désarroi pour que Jésus puisse les y rejoindre : à partir de là seulement, il pourra les amener à la foi.

III

L’on peut donc cheminer avec Jésus tout en le croyant absent, pour des motifs analogues à ceux des disciples d’Emmaüs. Tous, nous nous sommes habitués à une certaine idée de Dieu, de ce qu’il est, de ce qu’il fait, ou de ce qu’il devrait faire. Ces idées ne sont pas forcément fausses, mais elles sont partielles.

Par exemple, on attend de Dieu qu’il nous protège contre les coups du sort. On espère qu’il exaucera telle de nos demandes, ou qu’il délivrera ce proche de l’épreuve. Bien sûr, il arrive – et  et plus souvent qu’on le croit – que Dieu réponde à nos attentes. Mais le problème, c’est que nous lui assignons un rôle si précis, que s’il ne le remplit pas dans les termes que nous lui avons dictés, nous nous estimons trahis. Et s’il ne nous protège pas exactement de la même manière qu’autrefois, on se dit que ses sentiments à notre égard ont changé, qu’il est devenu méconnaissable. Bref, on ne parvient plus à connaître sa présence dans nos vies. Et on l’accuse de nous avoir abandonnés.

C’est alors que Jésus vient pour nous dire : « de quoi parliez-vous en chemin ? ».

Quand il nous pose cette question, surtout, ne nous croyons pas obligés de répondre par de pieuses paroles pour faire bonne figure. Ne faisons pas semblant d’être content de lui si on ne l’est pas. Les non-dits, on le sait bien, empoisonnent les rapports humains : ils infectent plus encore nos relations avec Dieu. A Jésus, il faut tout dire ! Et s’il nous demande « qu’est-ce que tu rumines sur ton chemin » ? Nous devons lui répondre en vérité en lui disant tout simplement ce que nous avons sur le cœur : « voilà Seigneur ce que nous attendions. Et voilà en quoi, Seigneur tu nous as déçus. Une chose me fait mal, elle est changée la droite du très haut ! Tu nous traites en brebis d’abattoir sans que tu gagnes à ce marché».Les psaumessont remplis de plaintes de ce genre. N’hésitons pas à les mettre sur nos lèvres. Le Saint-Esprit les a soufflé au Psalmiste justement pour cela : afin de nous donner les mots pour dire nos incompréhensions, nos attentes déçues, nos détresses. Mais cela fait, il faut ajouter Et maintenant Seigneur que puis-je attendre de toi ? Elle est en toi mon espérance ! » 

Mais il y a plus : s’il est un temps où l’on doit exprimer à Dieu nos reproches, vient le moment où on doit le laisser nous parler. Comment ? En lui demandant de nous expliquer dans les Écritures tout ce qui le concerne. C’est en lisant les Saintes Écritures qu’on apprendra à mieux comprendre de quelle manière il conduit notre existence, à quels signes on peut reconnaître sa présence et ses interventions.

On y apprendra surtout qui est le Dieu de Jésus Christ, quel est – si je puis dire – son caractère, combien il est bon, et par quels chemins inattendus il manifeste son amour. Si on le laisse ainsi nous parler en chemin, alors notre cœur jusque là transi par la tristesse et l’incompréhension finira par se réchauffer. Par-delà ce qu’on attendait Dieu, on finira par attendre surtout de Dieu, Dieu lui-même. Si on l’écoute nous parler en chemin, alors, insensiblement, comme les disciples d’Emmaüs, on se laissera gagner par une unique envie: le retenir, ne plus le lâcher, et si possible, Communier avec lui.

Une réponse à “Les disciples d’Emmaüs se trompaient dans leur espérance”

  1. Merci beaucoup pour cette homélie si pédagogique, qui nous rejoint dans nos découragements et qui nous donne des solutions d’espérance renouvelée !

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