Nativité du Seigneur 2024 – Messe de la nuit
Is 9,1-6 ; Ps 95 (96) ; Tt 2,11-14 ; Lc 2,1-14
Homélie du frère Marie-Philippe Roussel
Quelle nuit ! Elle n’était pas destinée à être douce, elle n’était pas destinée à être sainte. Elle devait ressembler à toutes ces nuits angoissantes, froides, ténébreuses, semblables au cœur des hommes depuis que le péché y répandit sa noirceur et l’entraina à se cacher de Dieu venant à la brise du jour. Telle la lune se cachant du Soleil et l’empêchant de se refléter sur elle, l’homme était privé de la source de vie. Ne pouvant s’élever à Lui, il s’abaissa, loin de Lui. Dans la violence et la malice, dans l’erreur et sa bonne conscience. Ne pouvant être transformé par Dieu, devenir semblable à son image, il se fit des formes de dieux multiples, à sa propre image pourtant défigurée.
Et voici une nuit nouvelle : qu’il nous est doux de répéter, année après année, Noël après Noël et ce, jusqu’à la consommation des siècles : Douce Nuit. Sainte Nuit. Nuit qui ne reflète plus la mort mais qui célèbre la Vie. Car la Vie s’est manifestée ! Non pas les mystères de la vie, connues dans la nature, un spectacle printanier ou un nouveau-né qui réjouit et bouleverse une famille. Mystères pourtant admirables, si peu respectés, si peu appréciés. Mais ici, en cette crèche, c’est une Vie que nul n’avait contemplée de ses yeux, imaginée dans ses rêves les plus fous, qui bouleverse l’humanité, ébranle les puissances de la terre et stupéfie les esprits invisibles. Cette vie est celle du Verbe. Il était dès le commencement, dans le sein du Père. Tout fut fait par Lui et, sans Lui, rien ne subsiste : Dieu fait chair, Verbe Incarné, Lumière venant en ce monde : Jésus, Emmanuel. Présence de l’infinité de Dieu dans la finitude de l’homme.
Douce et sainte nuit. Douceur et sainteté qui ne s’offrent pas seulement le temps d’une nuit mais jusqu’au retour dans la gloire de Celui qui est né dans la pauvreté. Car chaque fois que nous nous approchons de Jésus s’opère en nous sa douceur et notre sanctification. C’est Noël tous les jours, mes frères, mes sœurs, dès que nous nous mettons en présence de Celui qui se tient toujours à nos côtés. Aux côtés de ceux qui l’aiment, aux côtés de ceux qui sont exclus, aux côtés de ceux qui l’ignorent. Il y a deux mille ans comme aujourd’hui.
Aux côtés de ceux qui l’ignorent se révèle le mystère de la Lumière. Isaïe l’identifie à un fils donné, offert pour tous ! Victorieux du joug, de la tyrannie, prince de droiture et de justice. Non seulement pour les juifs, le peuple qui marche dans les ténèbres, mais aussi pour les païens, les habitants du pays de l’ombre, marquant ainsi l’étendue de son règne sur l’univers entier. A Noël, une étoile nouvelle en est le signe ; des mages, à l’Orient, l’aperçoivent. Toute leur sagesse humaine les mène à la Sagesse divine. Tout comme chaque semence de vérité en toute religion, en toute spiritualité trouve sa pleine signification et son plein achèvement dans la Révélation du Fils unique. Cette lumière continue de briller. Lumière de la présence divine près de nos tabernacles. Lumière de la foi dans le cœur des baptisés dont la flamme ne cesse d’être entretenue. Lumière d’Espérance qui accompagne ceux qui sont au cœur des guerres, des épreuves, des difficultés financières ou physiques.
Lumière de charité à chaque sourire, chaque main tendue, chaque silence pour écouter, chaque acte d’humilité. Nos villes peuvent se passer de leurs décorations, de leurs jeux de lumières et de leurs guirlandes. Mais nos vies ne peuvent se passer de ces lumières. Elles sont les reflets de la Lumière du Christ vivant, présent, agissant. Lumière qui transperce nos ténèbres. Lumière qui réchauffe nos cœurs engourdis, froids ou tièdes. Lumières que nous avons à reconnaitre et pour lesquelles il est bon de rendre grâce.
Aux côtés de ceux qui sont exclus se révèle le mystère de la Paix. L’Empereur faisait le compte de la population pour que chacun sache ce qu’il a à payer pour l’impôt. Les bergers eux en sont exclus. Aucune considération pour eux puisque leurs travaux ne rapportent pas grand-chose. Peu de pouvoir d’achat, peu d’impôt, peu de considération. Et c’est à eux que l’Ange du Seigneur se révèle, non à Hérode et aux scribes. Dieu invite toujours les exclus chez lui pour qu’ils y trouvent la source de la joie et le sens de l’existence. La source de la joie, c’est de se savoir sauvé, aimé, accompagné par Celui qui ne nous abandonnera ni ne nous déconsidèrera jamais. Le sens de l’existence, c’est de louer le Seigneur, de lui rendre gloire et de donner aux hommes qui nous entourent la paix par le lien de la charité. Seul un royaume qui n’est pas de ce monde n’exclut personne qui veut y entrer. Tous ceux qui y sont accueillis goûtent la Paix divine. Paix d’union, de communion au Père par le Fils dans l’Esprit.
Aux côtés de ceux qui l’aiment se révèle le mystère de la Vie. Etrange mystère ! Tous les hommes naissent pour vivre. Jésus est né pour mourir. Pour mourir et pour ressusciter. Pour que nous puissions à notre tour vivre et ressusciter. Passer de nos ténèbres à son admirable lumière comme nous y invite saint Paul. Renonce à l’impiété, à vivre comme si Dieu n’existait pas. Renonce aux convoitises de ce monde, à vivre comme s’il fallait chercher en ce monde la satisfaction et le bonheur. Mais surtout sois ardent, ardent à faire le bien. Voici notre mission commune, la mission du peuple de Dieu. Jésus nait au sein des ténèbres mais au cœur de l’amour de Marie et de Joseph. A notre tour, comme l’exprimait Mère Teresa, ce sera Noël à chaque fois que nous permettrons à Dieu d’aimer les autres à travers nous. Les ténèbres sont là. Mais rien ne nous séparera de l’amour du Seigneur. Dieu ne déçoit pas dans l’amour qu’il nous porte. Alors vivons, vivons pleinement notre existence : nous n’avons qu’une vie pour aimer. Plutôt que de maudire les ténèbres, allumons une bougie.
Mystère de Lumière, de Paix et de Vie : c’est ce que nous appelons la grâce. La grâce de Noël est la présence de plain-pied au sein de l’humanité de l’auteur de toute grâce. Ce soir, plongeons nos cœurs dans le regard de cet enfant pour les plonger pour l’éternité dans le regard du Ressuscité. Que sa Présence illumine cette nuit, qu’elle illumine nos vies. Qu’elles deviennent à leur tour douces et saintes. Amen.