24 décembre 2021 – Nativité du Seigneur – Messe de la nuit
Is 9,1-6 ; Ps 95 (96) ; Tt 2,11-14 ; Lc 2,1-14
Homélie du frère Thierry-Marie Hamonic
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Imaginez que vous soyez soudainement transportés parmi ces bergers de Palestine, il y a plus de 2000 ans. Imaginez de plus que vous n’ayez pas la moindre idée de ce qu’est Noël, pour cette simple raison que vous ignorez tout du christianisme.
Vous voilà donc aspiré dans cette mystérieuse procession nocturne sans savoir où elle vous conduira, ni ce que vous allez découvrir. Mais un berger qui comprend votre stupeur, vous chuchote à l’oreille qu’une myriade d’anges leur est apparue. Ces anges leur ont annoncé qu’un sauveur venait de naître et que c’est justement pour le voir qu’ils se sont mis en route.
Un sauveur ? Un sauveur de quoi ? Mais après tout, il y a tellement de chose dont nous voudrions être sauvés. Alors, va pour le sauveur ! Allons tenter notre chance. En suivant ces bergers, nous finirons bien par découvrir à quoi cela peut bien ressembler un sauveur.
Quelle n’est pas notre stupeur lorsque la procession s’arrête devant une étable dans laquelle une mère tient un nouveau-né. Elle est très belle, la maman, c’est sûr ; et ce nouveau-né qui se blottit contre elle, c’est forcément attendrissant. Mais enfin, une mère qui porte son petit dans ses bras, on a vu cela des milliards de fois et on le verra encore tant que la terre durera. Tout cela est émouvant, mais de là à déplacer les foules ! C’est donc ça le sauveur, ce petit être si fragile ?
Et nous voilà grandement déçu. Nous qui nous étions progressivement habitués à l’idée de rencontrer un sauveur, nous avions préparé, chemin faisant, notre petite liste de Noël. Tout en regardant cet enfant qui n’a rien de remarquable, si ce n’est l’extrême dénuement dans lequel il vient de naître, nous ne pouvons nous empêcher de l’interroger mentalement, tout en sachant, bien sûr, qu’il ne pourra pas nous répondre aujourd’hui.
« De quoi peux-tu nous protéger, petit enfant? Tu n’as même pas un toit décent pour t’abriter. Comment pourrais-tu nous secourir, toi qui sans ta mère mourrais de faim ? Ce n’est pas toi, petit être fragile, qui nous redonneras la santé, toi qu’un mauvais coup de froid pourrait emporter comme un rien. On ne voit pas comment tu pourrais nous donner la force d’affronter l’existence, toi qui es si faible. Ce n’est pas toi non plus qui nous aideras à nous faire une place au soleil, toi qui en cette nuit de décembre ne trouvas même pas une place à l’hôtellerie. Oui, que pourrais-tu bien nous donner, toi qui n’as rien ? » Mais l’enfant se tait.
Déçus, nous avons envie de repartir en nous disant qu’il n’y a décidément ici rien à voir, rien à recevoir, mais plus tard, peut-être, quand l’enfant sera grand… Quelque chose pourtant nous retient de partir : ces bergers qui regardent, fascinés, l’enfant Jésus, ont manifestement trouvé ce qu’ils désiraient. Il n’est pas jusqu’aux agneaux eux-mêmes qui ne paraissent pleinement satisfaits comme s’ils avaient flairé l’un de leurs congénères dans l’enfant de la crèche. Et puis voilà qu’un berger compatissant, vous retient par le bras en vous disant que ce bébé qui se trouve face à nous, eh bien c’est le Fils de Dieu en personne!
C’est donc ainsi que Dieu, en personne, s’est manifesté pour la première fois aux yeux des hommes. Pour se présenter au monde, Dieu n’a rien trouvé de mieux que d’apparaître sous les traits d’un nouveau-né, d’un pauvre bébé dans les bras de sa mère. Quelle énigme! Pourquoi le Dieu tout puissant a-t-il voulu d’abord se manifester sous la figure de l’extrême fragilité d’un nouveau-né?
On n’en finirait pas d’interroger ce grand mystère. Mais on pourrait avancer les raisons suivantes.
Il y a d’abord ceci: la toute-puissance de Dieu, cela fait peur. L’homme qui se sait fragile craint d’être broyé par elle. Et puis, la puissance va si souvent de pair avec la violence! Voilà déjà un premier enseignement: si le Tout-Puissant a revêtu la forme de l’extrême faiblesse, c’est pour qu’en le regardant, nous soyons bien convaincus qu’il ne poussera jamais au jihad. Un Dieu petit enfant c’est, dans tous les sens du terme, un Dieu désarmant.
Mais il y a plus. Un nouveau-né, cela provoque le plus souvent l’attendrissement. La tendresse c’est peut-être ce que le cœur humain peut produire de plus beau. La tendresse, c’est cette forme d’affection qui nous saisit en présence de ce qui est à la fois beau et fragile: s’y mêlent les sentiments d’une bienveillance protectrice avec ce je ne sais quoi d’inquiétude, et peut-être même quelque chose qui s’apparente à la crainte du sacré.
Tenez: vous souvenez-vous de la première fois où une mère vous a invité à prendre son nouveau-né dans vos bras? Vous êtes tout à la fois fascinés et comme saisi de crainte à l’idée qu’un faux mouvement de vos mains malhabiles pourrait lui faire mal, ou pire encore le faire tomber.
L’attendrissement : voilà le genre de sentiment que le Dieu nouveau-né entendait susciter en nous. Bien sûr, Dieu n’est pas fragile, mais c’est la présence de Dieu en nous qui, elle, est si fragile. On ressent le besoin instinctif de la protéger de nos maladresses, on désire le protéger de nous-mêmes.
Tendresse pour le Dieu nouveau-né, oui, mais ne pensez surtout pas que cette tendresse soit mièvrerie. Car les parents le savent bien: un enfant c’est terriblement exigeant. Que ses parents soient en forme ou fatigués, qu’ils aient l’esprit libre ou le cœur préoccupé par mille autres soucis, ils leur faut malgré tout s’en occuper. Ils doivent s’en occuper parce qu’un bébé, c’est un être foncièrement dépendant: son existence, sa croissance et dans une certaine mesure, son avenir sont entièrement suspendus aux soins qu’on lui donne.
Bien sûr, Dieu n’a pas besoin de nous pour exister! Il reste pourtant que le maintien et la croissance de sa vie en nous dépendent de l’attention qu’on lui porte, des paroles qu’on lui adresse, des soins qu’on lui accorde. Un théologien ajouterait même que les personnes de la Trinité dépendent entièrement les unes des autres…
Prendre soin de Dieu, le protéger, mais enfin, ce n’est pas du tout cela que nous étions venus chercher! Nous étions venus trouver un Dieu sauveur, un Dieu qui prenne soin de nous, et nous voilà avec un bébé sur les bras dont il va falloir s’occuper!
Eh bien l’un n’empêche pas l’autre. Disons-même que l’un ne va pas sans l’autre. «Occupe-toi de moi, et je m’occuperai de toi», disait le Seigneur à Catherine de Sienne. Occupons-nous du Sauveur, et j’ajouterais: occupons-nous de ces petits dont le Sauveur s’est fait le frère, car c’est seulement ainsi que nous serons sauvés.
Pourquoi ? Parce que ce dont il nous faut être sauvés, c’est du péril que nous fait courir notre cœur tellement dur, notre égoïsme si féroce. Et Dieu s’est dit que pour l’attendrir, il n’y avait rien de tel que de se présenter à nous sous les traits d’un enfant nouveau-né. Viendront les jours où il attendrira les cœurs en provoquant en nous la compassion pour les souffrances que nous lui infligerons. Mais n’anticipons pas…
Ce qu’il nous reste à faire dans les jours qui vont suivre, c’est une fois encore de nous laisser attendrir par ce petit enfant. Et si nous ne savons pas comment nous y prendre, demandons à sa mère de nous expliquer tout cela et finalement, de nous faire partager ses sentiments pour son petit.
Merci, cher frère, pour cette si belle homélie. Déjà le frère André-Pierre avait installé une crèche toute prête à servir dans notre cœur. Et maintenant qu’un enfant nous est né, et qu’il occupe cette crèche, il ne nous reste plus qu’à l’entourer de notre affection et de soins pleins de douceur… Puisse-t-il nous y aider !
Rétroliens : Dieu souffre-t-il ? - Dominicains de Montpellier