Le Carême, ou l’espérance au-delà du mal, de Fr Benoît-Marie Simon

La transfiguration de Jésus de Feofan Grek

Transfiguration

Mt 17, 1-9

 » Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! »

Homélie dominicale de Fr Benoît-Marie Simon :

Version phonique:

Version écrite :

            A première vue, au cours de ce Carême, l’évangile d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec celui de dimanche dernier. Il semble même incongru. En effet, le carême est un temps de pénitence qui fait ressortir le côté sombre de notre condition. Et, là, tout d’un coup, nous sommes au sommet d’une montagne, devant une lumière éclatante…
            Et pourtant, à bien y regarder, dans cet évangile aussi, nous sommes confrontés à une forme de tentation : celle qui pousse les apôtres à vouloir rester là où ils sont, et à ne plus redescendre dans la vallée de larmes où vit le commun des mortels.
            Cette tentation d’esquiver l’affrontement avec le mystère d’iniquité, nous la connaissons tous ! Il y a, cependant, une différence de taille entre l’attitude des apôtres et la nôtre face au scandale que constitue la puissance terrifiante du mal ici-bas.
            Pierre, Jacques et Jean vivent une expérience exceptionnelle : la gloire céleste se révèle à eux, et ils sont fascinés. Du coup, c’est vrai, ils oublient les ténèbres du monde. D’autant plus qu’ils ont momentanément disparu. Mais, ils ne les nient pas, en se réfugiant dans le mensonge ou l’illusion. En d’autres termes, ils ne cherchent pas à fuir quoi que ce soit. Ils sont happés par le Ciel, c’est-à-dire la réalité ultime, définitive, absolue. Au point que tout le reste cesse d’avoir de l’importance et qu’ils s’écrient : « il est heureux pour nous d’être ici ».
            Il y a plusieurs années quelqu’un de connu, et qui avait un poste important et extrêmement gratifiant, a, brutalement, tout plaqué pour faire le tour du monde sur un voilier. Lorsque des journalistes ont réussi à le rattraper, ils lui ont demandé pourquoi il avait fait cela. Il a répondu, vous ne comprenez pas ? Moi, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi vous restez où vous êtes, au lieu de partir avec moi !
            Si l’appel du grand large peut susciter une folie de ce genre dans un cœur humain, imaginez ce que doit produire l’avant-goût de la vie éternelle !
            Hélas, nous ne sommes pas emportés par un tel vertige ! Ce qui prouve que notre perception du ciel est encore bien faible. Du coup, dans notre cas, c’est la présence du mal qui risque de nous faire oublier la réalité de la gloire, et non l’inverse. Alors, pour ne pas être écrasés, nous sommes tentés de nier la réalité des ténèbres qui nous entourent, en pratiquant la politique de l’autruche. Ainsi, par exemple, au prétexte qu’il reste toujours un peu de bien, on minimisera l’horreur et on refusera de voir les nuages qui s’amoncellent sur nos tête. Mais que valent nos raisonnements auprès de tous ceux qui ressentent cruellement, dans leur être, à quel point le positif ne fait pas le poids, face à ce qu’ils endurent ?
            Frères et sœurs, ne l’oublions pas : prétendre consoler quelqu’un sans prendre la pleine mesure de ce qu’il subit, est un leurre. Tout au plus peut-on l’endormir avec des tranquillisants. Ce qui revient à fuir ses responsabilités, car où serons-nous lorsqu’il se réveillera ?
            En définitive, seul le Christ ne ment pas lorsqu’il affirme : « courage, j’ai vaincu le mal ». Déjà, parce qu’Il ne triche pas avec le fait que le bien et le mal s’opposent comme une chose et son contraire.
            En ce sens, la victoire du Christ ne consiste pas à dissoudre le mal, car on ne saurait le comparer à une ombre qui disparaît aux premiers rayons de soleil. La preuve : le Christ a subi la trahison, l’agonie et, enfin, la mort, jusqu’au bout. Et Il ne nous en dispense pas. Voilà pourquoi Il demande à ses apôtres de redescendre de la montagne avec Lui.
            Encore une fois, le bien et le mal sont inconciliables. Et c’est une grande perversion, aux dires de l’Écriture, que d’appeler bien ce qui est mal et mal ce qui est bien. Aussi lit-on, par exemple, au livre des Proverbes : « Acquitter le coupable et condamner le juste : deux choses également en horreur au Seigneur » (Pr. 17,15).
            D’ailleurs, à la fin des temps, la séparation sera absolue, puisqu’il y aura un abîme, infranchissable et définitif, entre le Ciel – où toute trace de mal aura disparu pour toujours – et l’enfer.
            Il faut donc dire ceci : le Christ ne nous promet pas que le mal se changera en bien. Car c’est absurde. Il ne nous demande pas non plus de faire comme s’il n’avait jamais existé. Car ce serait se moquer de nous. Mais Il proclame qu’il n’y a pas de souffrance, d’épreuve, de chute… dont Dieu ne puisse tirer un fruit de gloire éternelle. Et il nous suffit d’en avoir un tout petit avant-goût, pour que cela nous empêche de regretter les tribulations de notre vie passée. Voilà pourquoi la bible compare les souffrances du temps présent aux douleurs de l’enfantement.
            Il y a, bien sûr, une condition : il faut affronter les épreuves, dans un amour et une lumière qui ne sont pas de ce monde. Il était donc nécessaire que le Christ manifeste à ses disciples la présence de la gloire au plus profond de son âme humaine, avant d’entrer dans sa passion. Afin que ceux-ci comprennent que leur Seigneur n’a pas simplement partagés nos souffrances, Il a inauguré une nouvelle manière de souffrir et de mourir. En d’autres termes, il a transfiguré notre condition mortelle.
            Eh bien, cette gloire elle est désormais aussi en nous. Puisqu’en communiant au corps et au sang du Ressuscité, nous sommes en contact physique avec la gloire du Ciel.
En somme, frères et sœurs, face au scandale du mal, il y a trois attitudes possibles.
            Il y a, d’abord, la révolte, qui nous enferme dans l’enfer.
            Il y a, aussi, la fuite, chaque fois qu’on se réfugie dans le sommeil, le déni… Avec cette question : que se passera-t-il le jour où il ne sera plus possible de dormir ? Fera-t-on partie des vierges sages ou des vierges folles ?
            Il y a, enfin, l’attitude de ceux qui aiment le Christ et affrontent la réalité du mal, en le regardant avec les yeux de la foi et en l’acceptant avec la force qui vient de l’espérance théologale. Ceux-là reçoivent la paix que donne le Christ, et qui, nous dit saint Paul, « dépasse toute intelligence ».
            Alors, le silence apparent de Dieu face aux horreurs du monde, qu’elles soient sensibles ou morales – donc spirituelles, cessera d’être une objection et une source de doute. Alors, nous accepterons la façon dont Dieu sauve le monde, c’est-à-dire que nous adorerons la Croix et nous serons parfaitement réconciliés avec Dieu.
            Vous l’aurez compris, c’est un des enjeux du carême.
Fr Benoît-Marie Simon op.

Lien vers la liturgie florale du jour : Transfiguration de Jésus