Chemin d’éternité

29 septembre 2024 – 26e dimanche du T.O., année B
Nb 11, 25-29 ; Ps 18 (19) ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9, 38-43.45.47-48
Homélie du frère Jean-Marc Gayraud



L’homme est un être limité. Cette limitation même, loin de le diminuer, lui permet au contraire de s’ouvrir à plus que lui-même, à la vie même de Dieu. L’homme doit apprendre ainsi à recevoir par grâce ce qu’il ne peut se donner à lui-même. Et ce qu’il reçoit par grâce, ce n’est pas la même chose que ce qu’il se donne à lui-même. Ici ce sont les choses de la terre et là les choses du ciel. L’homme doit choisir entre l’une ou l’autre, entre les réalités mortelles ou les réalités éternelles. Dans la réalité vivante, ces deux aspects s’entremêlent en permanence. Choses de la terre et choses du ciel ne s’opposent pas mais ne se confondent pas non plus. Il s’agira pour l’homme de faire des choses de la terre le réceptacle des choses du ciel et d’orienter en vue du ciel les choses de la terre. Il lui faut pour cela se rendre disponible à la grâce. Mais pour ce faire, il doit consentir à ne pas être autosuffisant, pas plus qu’omnipotent.

Cet évangile nous entretient de cela. Il signale en effet le danger qu’il y a pour l’homme à tout vouloir, tout pouvoir, tout dominer. Et pour lutter contre cela, le Christ invite à prendre, si nécessaire, des mesures radicales, tranchantes si je puis dire ! Couper sa main, son œil, son pied, voilà qui peut être salvateur pour avoir la vie éternelle. Il ne s’agit bien évidement pas d’automutilation physique ! La main représente l’accaparement, l’œil la convoitise, le pied la prise de possession, toutes choses qui signifient une domination de l’homme sur ce qui constitue sa vie.

Le Seigneur nous engage donc à ne pas se laisser emporter par cette logique de toute puissance qui conduit à la mort. Et c’est pourquoi il ne faut pas craindre parfois de se faire violence. Comment d’ailleurs ne pas être convaincu de la justesse, de la pertinence et de l’actualité de cet évangile lorsque nous voyons les conséquences de l’hyper-sollicitation du désir dans nos sociétés mercantilistes ? Elles instrumentalisent la personne humaine, elles font croire que l’homme peut tout ce qu’il veut, que ce qu’il veut c’est ce qui est bon pour lui, que ce qui est bon pour lui c’est ce qui répond à son désir, qu’il ne peut pas être heureux si ce désir n’est pas satisfait. Comment ne pas en être convaincu lorsque nous voyons les dégâts que peuvent causer un tel emballement du désir, pensons seulement à la drogue ? Comment ne pas en être convaincu lorsque nous voyons les graves dérives que le sentiment de toute puissance peut entrainer ? Les phénomènes d’emprise sur autrui qui font l’actualité relèvent en particulier de cette logique de toute puissance. A ce propos, les paroles très sévères du Christ à l’endroit du scandale des petits ont de quoi faire frémir ici. Mais de telles paroles sont en pleine adéquation avec l’enseignement de ce passage.

En se laissant mener par sa seule volonté propre, l’homme se rend malheureux, rend malheureux, sème le malheur. Il faut donc allez à rebours bien souvent des sollicitations de ce monde. Mais avouons-le, rien n’est moins évident que de devoir contrarier son désir, et qu’il soit réalisable ou non n’y change pas grand-chose. Sans doute faut-il l’éduquer dans les petites choses pour le rendre capable de l’exercer avec justesse dans les plus grandes.

Cet évangile nous donne une clé pour avancer dans la bonne direction. Lorsqu’il entre en conflit avec son désir, avec sa volonté de toute puissance, l’homme est invité à se souvenir… de l’avenir ! « Si tu veux entrer dans la vie éternelle… » nous répète le Christ. La vie présente est promesse d’éternité et sa vocation première est de nous disposer à la vie éternelle. Il ne s’agit pas de s’évader de cette vie d’ici-bas, il s‘agit au contraire de lui donner sa véritable dimension en la tournant vers son accomplissement bienheureux. Car cette vie est chemin de vie… ou de mort. Nous ne sommes jamais que dans les balbutiements de la vie, quoi que nous vivions et réalisions ici-bas. Et la vie sera heureuse dès à présent si elle chemine vers le vrai bonheur, c’est-à-dire, si elle s’ouvre son chemin d’éternité, quelles que puissent être les embuches et les épreuves du chemin. Voilà donc ce qui doit nous guider à l’heure des choix décisifs, des inévitables renoncements, des nécessaires renouvellements, des salutaires recommencements.

Demandons la grâce du Christ pour qu’il en soit ainsi de chacune de nos vies. Amen.

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