15 mai 2022
Cinquième dimanche de Pâques, année C
Ac 14,21b-27 ; Ps 144 (145) ; Ap 21,1-5a ; Jn 13,31…35
Homélie du frère Joseph-Thomas Pini
Soyons lucides : même s’il n’est pas grand, il existe un risque, très sérieux vu son objet. D’un côté, à force d’entendre qu’il est bon, même impératif, de s’aimer les uns les autres, puisque le Christ et son Église y insistent beaucoup, et, de l’autre, de nous heurter à l’écueil, qui nous paraît si souvent infranchissable, de notre incapacité à aimer l’ennemi, à tendre la joue, dans un monde, une communauté ecclésiale aussi, où les contre-exemples ne sont pas si rares, l’amour peut s’installer comme un élément du décor, pinacle du bel édifice d’une vie chrétienne dont nous deviendrions les habitants plus que les acteurs ; comme l’horizon de la grande traversée de l’existence sur la mer du monde, promesse, attente, destination ; comme l’objectif, et peu à peu l’idéal, d’un programme « forme et santé » de la vie spirituelle, fraternelle et sociale ; comme le souvenir aussi de temps plus doux et plus heureux. Tout en donnant ainsi, même à notre corps défendant, finalement raison à tous les détracteurs de la foi et de la vie chrétiennes qui taxent, depuis les origines, les disciples du Christ de naïfs et d’hypocrites, nous passerions, plus gravement, à côté du cœur de notre vie chrétienne, tout simplement, dès lors qu’il n’est question de rien de moins que du mystère de Dieu : Dieu Amour à l’origine de tout, agissant dans l’homme et le monde et qui les régénère et les transforme pour les attirer et les attacher toujours plus à Lui. La première épître de Jean développe plus encore la relation essentielle de l’amour de Dieu et de son frère, et la dimension de signe de l’amour les uns pour les autres, pour nous faire entrer plus avant encore dans ce mystère de vie.
Au risque de la banalisation et de la résignation s’en ajoute un autre : celui de l’incompréhension. En effet, il peut sembler étrange d’entendre le Christ parler d’un commandement « nouveau » de l’amour. Déjà, dans la loi mosaïque, l’amour du prochain est prescrit, avec celui de Dieu, en premier lieu et par-dessus tout, et de soi-même qui lui est comme lié. Ailleurs dans les Évangiles, le commandement de l’amour apparaît, et en double. Il y a pourtant quelque chose de réellement nouveau dans le commandement du Christ : la référence de l’amour du prochain devient l’amour du Christ Lui-même pour Ses disciples et pour tous les hommes. Le moment où Il donne Son enseignement est particulièrement bien choisi et même saisissant. Voici qu’Il vient de laver les pieds de Ses compagnons, en leur prescrivant notamment de faire de même les uns pour les autres, sans quoi Son geste de maître serviteur n’a pas de sens. Il S’apprête à bénir et rompre le pain de la Pâque avec eux, et à le leur partager, en leur enjoignant également de le faire désormais les uns avec et pour les autres. Et, comme au sommet et en prélude immédiat de Sa glorification sur la Croix, voici qu’Il parle de Sa gloire de Fils, de la glorification de Son Père et de Sa glorification par le Père, alors que celui qu’Il a choisi, sans ignorance, comme Apôtre et qu’Il a introduit dans Son amitié, Judas, commence à mettre en œuvre son dessein de Le trahir jusqu’à la Passion et à la mort douloureuse et ignominieuse : Lui, Jésus, déclare que ce disciple de choix, qui vient de recevoir la bouchée des mains de l’Ami et du Maître, qui sait que Jésus sait, et qui va au bout de son entreprise, celui-là contribue à la manifestation de Sa gloire. Nouveauté en effet, et radicale : il s’agit désormais, pour les disciples du Christ, de s’aimer les uns les autres comme Jésus, sans retour, sans réserve ni condition, sans calcul. Jusqu’à l’impossible, l’absurde, l’injuste : l’amour des ennemis, la joue gauche tendue, le don tout entier de soi face à la persécution ou au rejet. La juste proportion est désormais celle de Dieu Lui-même, et tout notre possible peut et doit y être engagé.
Et, dans la lumière pascale, devant le tombeau vide, à l’ombre de la Croix victorieuse, tout s’éclaire. D’abord pour notre réconfort et notre espérance : pour pouvoir aimer comme Jésus, nous avons la force même de Dieu qui vient du côté transpercé du Christ et de Son Esprit répandu, sans lesquels nous ne pourrions suivre ce chemin exigeant. Puis pour notre enseignement. La glorification du Fils, c’est le parfait accomplissement de la volonté du Père, et, puisque Son amour pour nous glorifie Son Père, notre amour les uns pour les autres s’inscrit, pour notre part, dans cette volonté divine et rend gloire au Père et au Fils, en gardant les commandements. Commandement : Jésus parle ainsi clairement à Ses disciples d’un « commandement », non d’un idéal, dans un domaine, celui du véritable amour, où le commandement semblerait par hypothèse exclu. Mais l’amour véritable de Dieu et en Dieu, où s’orientent, s’ajustent, se purifient nos inclinations et attachements humains, est l’expression, dans nos actes, de l’ordre divinement établi. De là, cet amour semé, envers et contre tout et au milieu des adversités de toutes sortes, est le ferment du Royaume, appelé à croître irrésistiblement jusqu’à la moisson, à donner du fruit greffé à la Vigne véritable.
Enfin pour notre édification et notre soutien : l’amour, dans la vérité, est le seul ordre juste, il est le seul chemin. Et ce chemin passe aussi, sans qu’il doive en naître une inquiétude ou un étonnement, par la Croix, s’il est l’amour véritable imitant et rejoignant celui du Christ. Le disciple du Christ aime par la Croix, au nom de la Croix et jusqu’à la Croix. Dieu fait bien ainsi toutes choses nouvelles, dans l’accomplissement de Son dessein pour l’homme de partage, dans l’amour filial, de Sa vie et de Sa béatitude. La Jérusalem nouvelle de beauté et de bonheur est déjà en ce monde, dans la communion des disciples du Christ, lumière et famille pour tous les hommes. Nous qui avons déjà tant reçu, comment pourrions-nous taire ou cacher à nos frères ce projet éternel de Dieu qui s’est manifesté en Son Fils, en ne montrant pas la cohérence de l’amour et de la foi, en ne faisant pas progresser le Règne de l’Amour de Dieu par l’amour vécu entre nous qui nous relie à Dieu et en Dieu et ouvre le Royaume à tous les hommes ? Les saints canonisés aujourd’hui, et tout particulièrement ceux qui illuminent d’un précieux éclat l’Église de France, l’ont chacun illustré dans leur domaine, astre reflétant le soleil de la sainteté de Dieu. Qu’ils intercèdent pour nous sur notre chemin !
Merci pour l ‘ intelligence de votre homélie qui éclaire et renforce notre foi .
La nouveauté de ce commandement est qu ‘ il nous fait suivre Jésus en essayant de l ‘ imiter jusqu ‘ à » donner sa vie » : ce qui est naturellement impossible sans l ‘ action de l ‘ Esprit Saint qui nous fait accéder au » surnaturel » .
Ce commandement rejoint la parole de Jésus :
» qui veut en effet sauver sa vie la perdra mais celui qui perd sa vie à cause de moi et de l ‘ Evangile la sauvera » ( Ma VIII 35
» Suivre Jésus » c ‘ est donner sa vie pour l ‘ amour de son Nom ,
soit en une fois , soit au » goutte à goutte » tout au long de notre vie
C ‘ est » en suivant Jésus » que nous pourrons aimer notre prochain comme Il nous le commande ( pas à la manière du monde ) et qu ‘ en plus nous sauvons notre vie .