13 août 2023 – 19è dimanche du T.O., année A
1 R 19,9a.11-13 ; Ps 84 (85) ; Rm 9,1-5 ; Mt 14,22-33
Homélie du frère Arnaud Blunat
Nous avons tous fait l’expérience de la peur. Elle fait partie de notre vie humaine, à des degrés divers. Certaines personnes disent qu’elles vivent dans la peur. D’autres disent n’avoir peur de rien. C’est un phénomène subjectif, qui touche les racines les plus profondes de notre être, qui nous renvoie à notre éducation, à notre histoire personnelle.
Les apôtres ont fait l’expérience de la peur avec Jésus. Alors qu’ils pensaient qu’avec lui, le Royaume des cieux allait enfin advenir, en voyant comment il avait nourri la foule de 5000 hommes – sans compter les femmes et les enfants – les voilà à nouveau mis à l’épreuve. Il fait maintenant presque nuit. Jésus les laisse remonter dans la barque tandis qu’il part seul prier dans la montagne. En soi, traverser la mer de nuit ne constitue pas un défi pour ces pêcheurs expérimentés. Mais ils auraient sans doute aimé pouvoir revenir sur cette multiplication des pains durant le trajet, partager sur ce phénomène si étonnant avec Jésus.
Pouvaient-ils s’imaginer ce qui allait se passer ? Jésus les rejoint en marchant sur la mer. Le texte nous décrit parfaitement les sentiments des apôtres. Ils sont bouleversés, croyant apercevoir un fantôme. Pris de peur, ils se mettent à crier. La peur s’empare de nous quand nous sommes face à une situation que nous ne maîtrisons pas. Ainsi nous avons peur quand nous sommes face à une personne qui nous met mal à l’aise, une personne qui peut être agressive, voire violente. Chacun de nous a en quelque sorte une zone de confort, un espace intérieur dans lequel il se sent en sécurité. Quand quelqu’un entre dans cet espace, nous pouvons ressentir de l’inquiétude, de l’angoisse et réagir vivement, perdre confiance, nous affoler. Certains réagiront avec violence, par la colère. D’autres préféreront fuir, pour éviter de faire face à la situation déstabilisante.
Les apôtres quant à eux font bloc sur la barque. Croyant voir un fantôme, ils espèrent pouvoir chasser cette vision par leurs cris. Ce qu’ils voient leur semble irréel, incroyable. Le cadre qui leur est familier est soudain ébranlé. La connaissance qu’ils ont de Jésus est remise en question. Leur réaction première est la peur. Comme ils ne peuvent pas fuir, alors ils se défendent comme ils peuvent en poussant des cris.
La parole de Jésus les assure que c’est bien lui : confiance, c’est moi, n’ayez plus peur !
Confiance ! C’était la parole que Jésus avait dite au paralytique. Quand on est ainsi paralysé par la peur, on n’a plus confiance en soi. On reste replié sur soi, incapable d’aller de l’avant, de regarder l’avenir.
C’est moi : cette parole pleine d’autorité dans la bouche de Jésus fait écho aux nombreuses fois où il dit dans l’évangile de Saint Jean, je suis : je suis la lumière du monde, je suis le pain de vie, je suis le bon pasteur. Cette affirmation de lui-même a une force particulière qui rappelle la manière dont Dieu se présente à Moïse : je suis celui qui est !
Autrement dit, Jésus affirme qui il est en disant : c’est moi ! C’est moi Jésus que vous connaissez déjà, mais c’est moi aussi que vous n’avez pas encore reconnu. C’est moi qui peux agir en vous, élargir votre espace intérieur, cet espace que vous vous êtes construit et dans lequel vous vous êtes enfermés. Aujourd’hui, je viens pour demeurer chez vous.
N’ayez plus peur. Aujourd’hui, je viens vous ouvrir sur l’horizon du Royaume des cieux.
La suite du texte met en scène l’apôtre Pierre. Il est celui qui intervient souvent le premier, avec courage et intrépidité. Il n’est pas très rassuré mais veut se donner bonne contenance en se lançant lui-même ce défi. « Ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ». Mais le texte nous dit qu’il eut peur et commençait à s’enfoncer. La peur l’a saisi à nouveau, ou plutôt le doute, comme Jésus le souligne. Pourquoi as-tu douté de moi ? Devant cette expérience totalement inédite, complètement nouvelle, Pierre ne pouvait que faire confiance à Jésus, rester fixé, centré sur lui. Mais Pierre, comme nous-mêmes, était encore trop centré sur lui-même.
Devant le danger, Pierre s’écrie : Seigneur, sauve-moi !
Jésus alors lui tend la main. Ce geste, Pierre l’avait vu quand Jésus était venu guérir sa belle-mère. Un geste qui relève et qui sauve. C’est le geste qui annonce la résurrection, notre résurrection.
Les apôtres alors comprennent que Jésus agit pour eux comme il a agi en faveur du paralysé, et de tant de malades. Mais ce n’est plus la peur qui les saisit. Désormais c’est ce que nous appelons dans notre langage chrétien un don du Saint Esprit, en l’occurrence le don de crainte. Quand nous faisons l’expérience de Dieu qui nous manifeste sa présence et qu’il agit pour nous, alors nous sommes saisis, bouleversés intérieurement. Nous avons la conviction que le Seigneur est là. Il nous donne de le reconnaître dans ses œuvres. Il nous incite à nous attacher plus fermement à lui par un amour de plus en plus fidèle.
A la lumière de l’expérience vécue par les apôtres, nous sommes nous-mêmes invités à entrer dans une connaissance plus profonde de Dieu en cultivant en nous cette crainte, qui est une des facettes, un des aspects de l’amour, la crainte – qui n’est donc pas la peur – c’est plus précisément ce sentiment intérieur de respect et de reconnaissance qui vient de Dieu lui-même. On parlerait plutôt de confiance, mais la crainte ajoute une dimension supplémentaire, un degré dans la prise de conscience que nous existons devant Dieu.
Ainsi notre vie n’est pas seulement un enchaînement de processus naturels et rationnels, elle comporte aussi des aspects qui relèvent de la foi. Et le sens de notre humanité se trouve éclairé par la présence de Jésus qui est venu nous faire passer des ténèbres à la lumière, de la peur à la confiance, de la mort à la vie. Que notre vie devienne de plus en plus un chemin de foi.