Dimanche 6 août 2023
Fête de la Transfiguration du Seigneur, année A
Dn 7,9-10.13-14 ; Ps 96 (97) ; 2 P 1,16-19 ; Mt 17,1-9
Homélie du frère Jean-Marc Gayraud
Notre vie est un exode. Sur ce chemin de notre vie, nous aspirons à vivre vraiment, à vivre mieux et plus, à vivre un accomplissement de vie que nous portons en nous comme une promesse impérissable depuis que nous sommes venus au monde. Et lorsque la vie se fait plus difficile et éprouvante, ce manque à vivre s’exprime dans une plainte inapaisée, une exigence vitale de salut.
Sur le chemin qui le conduit vers sa Passion-Résurrection, Jésus fait une halte bienheureuse et se laisse voir un instant dans la lumière fulgurante du mystère de son être. Il est en exode, il s’avance vers sa Pâque. Deux figures majeures de cette vie en exode apparaissent à ses côtés : Moïse et Elie. Deux figures qui ont traversé les déserts de la soif, de l’épreuve et du doute, pour atteindre une terre de paix, une oasis de bienfaits, et pour finir par se trouver en présence du Dieu vivant qui donne la vie.
Sur cette haute montagne, notre chair d’humanité devient chair de gloire, le temps est traversé par l’éternité, ce qui passe est ancré dans ce qui demeure. A cette halte, Jésus veut nous faire anticiper le but du chemin, nous inviter à nous reposer un instant dans cette paix et cette joie promises, vers lesquelles chemine notre vie, si péniblement parfois. Un pur moment de grâce pour mieux traverser l’épreuve pascale qui s’annonce. Chaque mise en présence du Seigneur Jésus dans notre vie est ce moment de grâce, quel qu’en soit le ressenti ou non. Présence intime et insaisissable qui donne un secret dynamisme, le pas d’élan nécessaire pour aller plus loin sur la route. L’Eucharistie est, de manière éminente, de ces moments-là.
Notre vie est aussi ponctuée de semblables moments de grâce. Ils sont aussi fugitifs que traversés par un souffle d’éternité. Ils nous font toucher un bonheur pouvant à peine se nommer. Ils ont la saveur d’une indicible promesse bien plus que d’une réalité achevée. Ils sont rares mais ils irriguent toute notre vie, ce quotidien sans éclat de chaque jour qui passe. Ils mettent en route, en quête, en éveil, en désir d’aimer et de vivre. Ils sont signe d’un je ne sais quoi qui nous fait signe. S’ils ne sont qu’une pâle évocation de la Transfiguration, ce n’est que pour mieux en évoquer l’indicible beauté.
Ces moments de la vie expriment la substance profonde et cachée de notre vérité, tout comme la Transfiguration révèle aujourd’hui l’être profond de Jésus. C’est à partir de la Transfiguration que les disciples de Jésus ont pu entrer dans le mystère du Crucifié-Ressuscité, après le drame inconcevable de la croix. Ils ont pu pénétrer dans ce mystère qui est totalement inaccessible au regard et au jugement de ce monde. Ils ont vu le Transfiguré dans le Défiguré. Voir la Transfiguration à l’œuvre dans la chair même d’une humanité humiliée suppose un bouleversement du regard et du cœur qui ne peut jaillir que de la contemplation de la croix glorieuse. Il se montre-là l’indicible Amour de Dieu pour nous, un Amour qui transfigure tout.
Le récit de la Transfiguration fait donc surgir une lumière inespérée dans les ténèbres de ce monde, une présence lumineuse, cachée dans l’épaisseur de la nuit, un poids infini de gloire sur un chemin de misère. Cette nuée lumineuse, obscure et éclatante, chemine devant nous et fait de toute impasse un passage. Aussi, il nous est impératif d’entendre la voix du Père qui s’adresse à nous aujourd’hui : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon Amour, écoutez-le ! »