Homélie de Fr Hervé Ponsot. (versions phonique et écrite)
Frères et sœurs, la veuve dont il est question dans la première de nos lectures pose au prophète Elie une redoutable question que le prophète lui-même va détourner en l’adressant à Dieu : « es-tu venu pour faire mourir le fils de cette veuve ? » Question d’autant plus brûlante qu’à l’image de cette femme que croise Jésus dans l’évangile, elle est donc veuve et a déjà connu la mort de son mari. Cette question à Dieu, notre monde traversé de guerres sans merci la pose et la repose sans cesse : « veux-tu la mort de tes enfants ? ». Bien sûr, nous pensons et répondrons spontanément que ces morts ne sont pas l’œuvre de Dieu, le fruit de sa volonté, mais l’œuvre d’hommes impitoyables. Mais la question continue de se poser, vous l’avez déjà entendue et ce n’est pas le retour à la vie de tel ou tel personne qui va la changer : Dieu, si tu ne veux pas ces morts, alors pourquoi ne fais-tu rien, ou si peu, pour les sauver ?
Frères et sœurs, j’imagine qu’une telle question a dû vous tarauder un jour devant telle ou telle souffrance de vos proches, tel ou tel décès, et pour ma part, je me la suis souvent posée après avoir vécu avec plusieurs frères irakiens ou syriens, après avoir connu des familles de réfugiés : « Dieu, où étais-tu, où es-tu ? », et me la repose encore lorsque des milliers de boat-people coulent au fond de la Méditerranée dans l’indifférence presque générale. Comment ne pas ressentir ce que le pape François a appelé en visitant Lampedusa « la mondialisation de l’indifférence », au nom souvent d’un « on ne peut rien faire », ou « cela dépasse nos moyens ». Cette situation appelle plusieurs remarques.
La première est que, comme l’attestent en fait nos lectures, Dieu ne veut pas la mort des hommes qu’il a faits pour la vie : Elie et Jésus redonnent la vie au nom même de ce Dieu mis en accusation. La deuxième est que toute mort le touche : c’est cette compassion qui saisit Jésus au cœur, un terme qui, vous le savez sans doute, exprime une douleur qui prend les entrailles. La troisième paraîtra surprenante aux yeux de beaucoup, mais de fait, Dieu ne peut rien sans nous, il a remis le monde entre nos mains et son action passe par notre action, aussi modeste soit-elle : dimanche dernier déjà, souvenez-vous, pour nourrir une foule de cinq mille hommes, Jésus a eu besoin des cinq pains et deux poissons que lui ont apportés les disciples. Oui, nous avons toujours un petit quelque chose à faire, en écoutant le fond de notre conscience.
Maintenant, je vais ajouter une quatrième remarque, qui pourrait faire bondir plusieurs d’entre vous, mais qu’il ne faut pas passer sous silence. Ce qui fait la force, et l’insensibilité aussi hélas ! de ceux qui tuent aujourd’hui au nom de Dieu, c’est qu’ils estiment la vie terrestre négligeable face au Paradis qu’on leur promet : en total désaccord avec eux, dans la mesure où la vie terrestre est un don de Dieu qui nous prépare au Paradis et exige d’être vécue dans la plénitude que Dieu et non l’homme lui donne, je me demande quand même si ces fanatiques ne nous provoquent pas à renouveler ou approfondir notre attente de la vie éternelle auprès de Jésus. Elie et Jésus ont certes obtenu de Dieu le retour à la vie de deux enfants, mais ceux-ci restent destinés comme chacun de nous à la vie éternelle : nous manifestons-nous vraiment en attente de cette vie et capables d’en témoigner à ceux qui nous entourent comme d’une espérance forte que nous portons ?
J’y insiste, il ne s’agit en aucun cas de justifier quelque mort que ce soit, de se donner bonne conscience devant elle, de consoler à bas prix ou que sais-je, et moins encore de se défausser de toute action pour sauver la plus modeste des vies sur terre, mais de rappeler dans tous ces malheurs qu’il existe une autre vie, et que c’est bien pour elle que notre vie terrestre mérite d’être pleinement vécue. Comme plusieurs d’entre vous sans doute, je n’ai plus mes parents sur cette terre depuis longtemps : leur départ m’a fortement et longuement attristé, bien sûr, mais il m’a au final redonné une forme de joie et un nouveau regard sur ma propre vie. Ils vivent en effet cette vie que j’espère de toutes mes forces, qui donne tout son sens à la vie sur cette terre et fait de la mort un passage ; puis-je ajouter un sentiment très personnel, à savoir qu’ils me sont aujourd’hui à certains égards plus proches qu’ils ne l’ont été sur cette terre ?