D’une Pentecôte à l’autre

28 mai 2023 – Solennité de la Pentecôte, année A
Ac 2,1-11 ; Ps 103 (104) ; 1 Co 12,3b-7.12-13 ; Jn 20,19-23
Homélie du frère Damien Duprat



La Pentecôte est d’abord une fête juive. À l’origine il s’agissait d’une fête agricole : on rendait grâces au Seigneur pour la fécondité de la terre, en lui offrant les prémices de la moisson ; mais à l’époque de Jésus cette fête avait déjà pris une autre signification, qu’elle a toujours : les Israélites célèbrent l’Alliance que Dieu a conclue avec son peuple conduit par Moïse au pied du mont Sinaï. La date de cette fête est liée à celle de la Pâque juive (Pessa’h), qui commémore chaque année le passage miraculeux de la mer Rouge. Selon le récit du livre de l’Exode, c’est une cinquantaine de jours plus tard que Moïse reçut de la part de Dieu les Dix Paroles gravées sur des tableaux de pierre, et beaucoup d’autres paroles qui fondent l’Alliance entre Dieu et son peuple. Cet événement majeur est donc célébré par les Israélites cinquante jours après Pessa’h. Cet intervalle de cinquante jours représente sept semaines, d’où le nom Chavouot, c’est-à-dire « semaines », pour désigner en hébreu cette fête de l’Alliance, que d’ailleurs le peuple juif a célébrée hier. Le nom de cette même fête en grec est « Pentecôte », terme qui exprime cette durée de cinquante jours entre Pessa’h et Chavouot. Lors de ces deux fêtes, comme pour la fête des Tentes, située à l’automne, tout le peuple d’Israël était convoqué à Jérusalem ; c’est dire l’importance de la Pentecôte, et cela explique également la présence de la foule si bigarrée dont nous parle le récit bien connu que nous avons entendu.

Si je vous parle de cela, ce n’est pas pour vous donner un simple cours d’histoire, vous vous en doutez bien. Ou plutôt, à travers ces éléments historiques, il s’agit pour nous de contempler la sagesse de Dieu qui nous enseigne à travers les événements de l’histoire. La délivrance de l’esclavage d’Égypte, commémoré par la Pâque juive, préfigurait le passage du Christ à travers les eaux de la mort ; de même, l’antique Alliance au mont Sinaï, que célèbre annuellement la Pentecôte juive, annonçait de quelque façon l’événement que nous, fidèles du Christ, fêtons aujourd’hui.

Pour bien voir ce lien, il est utile de nous rappeler les raisons de célébrer l’Alliance avec Dieu. Le peuple d’Israël a reçu les paroles de Dieu comme un enseignement (c’est la signification du mot Torah, qui désigne les cinq premiers livres saints tant des Juifs que des chrétiens). Ces écrits, dans leur diversité, nous offrent un enseignement venu de Dieu, c’est-à-dire des paroles qui expriment la sagesse divine, des paroles qui expliquent ce que Dieu fait et pourquoi il le fait, des paroles qui nous révèlent même quelque chose de l’être de Dieu. Toutes ces paroles constituent un cadeau que nous fait notre Père céleste pour la seule raison qu’il nous aime. Entrer dans l’Alliance à laquelle il nous invite, c’est accueillir cette lumière incomparable qui nous permet de faire de notre vie un chemin vers sa maison, vers son Royaume qui est notre véritable patrie. Dieu qui nous aime d’un amour fidèle, sans défaillance, nous appelle à lui rendre amour pour amour en vivant conformément à la sagesse surnaturelle qu’il nous révèle. C’est pourquoi il dit dans le livre du Deutéronome (4,6) : « vous garderez, vous mettrez en pratique les décrets et les ordonnances que je vous donne ; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. Quand ceux-ci entendront parler de tous ces décrets, ils s’écrieront : « Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation ! » » Il y a bien de quoi célébrer avec joie le don de la Loi et l’Alliance divine !

L’Esprit Saint a donc choisi la Pentecôte qui a suivi la Résurrection du Christ pour descendre bruyamment sur ses disciples et les pousser à sortir pour proclamer à tous les merveilles de Dieu. Auparavant, ils avaient peur : peur de l’adversité qu’ils risquaient fort de rencontrer s’ils s’avisaient de parler au nom de ce Jésus crucifié. La suite de l’histoire montre bien que leurs craintes n’étaient pas sans fondement, au contraire : les récits des Actes des apôtres font état des persécutions violentes qu’ils ont dû affronter. D’ailleurs ces persécutions se poursuivent, sous des formes variées, depuis les martyrs des premiers siècles jusqu’à ceux d’aujourd’hui. L’Esprit saint n’est donc pas venu faire de la vie des chrétiens un long fleuve tranquille en supprimant les contradictions ; il est plutôt venu nous combler de force pour que nous vivions selon la sagesse divine et que nous la proclamions, en dépit des ennuis que cela peut nous attirer. J’ai parlé de force et de sagesse : ce sont des dons de l’Esprit Saint, auxquels il faut en ajouter cinq autres :
– l’intelligence, qui nous pousse à scruter les profondeurs de la pensée de Dieu et de son dessein de salut ;
– la crainte de Dieu, par laquelle nous prenons au sérieux ce qu’il nous dit ;
– la science, qui nous donne un regard clairvoyant sur le monde ;
– le conseil, qui nous rend capables de faire des choix concrets en communion avec Dieu, même dans des situations compliquées ;
– enfin, la piété, qui nous maintient dans un cœur à cœur avec le Seigneur.

Grâce à l’Esprit Saint, grâce à ses sept dons, nous sommes capables de faire ce qui serait impossible sans lui : vivre selon l’amour de Dieu. C’est pourquoi l’Église enseigne que la grâce du Saint Esprit est la Loi nouvelle écrite dans nos cœurs, qui sont désormais des cœurs de chair et non plus des cœurs de pierre. L’ancienne Alliance conclue jadis au pied du mont Sinaï s’accomplit dans l’Alliance nouvelle et éternelle inaugurée par la Pâque du Christ et le don qu’il nous fait de son Esprit. Il est le souffle qui fait vivre l’Église, Église qui demeure le corps du Christ visible dans le monde après l’Ascension où le Christ s’est rendu invisible.

Ces derniers jours, à travers le monde, des milliers de personnes ont reçu le don de l’Esprit Saint dans le sacrement de la confirmation ; ils étaient 150 dans notre diocèse. Rendons grâces au Christ de faire reposer sur nous l’Esprit saint, celui-là même qui reposait sur lui.

Une réponse à “D’une Pentecôte à l’autre”

  1. Merci pour cette remarquable et magistrale homélie
    — très claire
    –très précise
    –très instructive
    –très édifiante
    qui nous met en mouvement dans la grande procession de tous ceux , hébreux puis chrétiens , qui depuis des siècles dirigent leurs pas vers Dieu Notre Père .

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