Éloge du désert

6 mars 2022 – 1er Dimanche du Carême, année C
Dt 26,4-10 ; Ps 90 (91) ; Rm 10,8-13 ; Lc 4,1-13
Homélie du frère Denys Sibre



Image tirée du film « L’Évangile selon saint Matthieu » – Pasolini, 1964

Le coup d’envoi du Carême a été donné le mercredi des cendres. Il faut maintenant partir, pas seulement d’un bon pied mais de bon cœur. À nous d’être tendus vers le seul but qui justifie le Carême: devenir des femmes et des hommes nouveaux, devenir des femmes et des hommes de Pâques.

Mais au début de ces quarante jours, nous sentons bien où le bât blesse. Il y a en nous tant de choses qui demanderaient à être déblayées, à être changées si nous voulons célébrer en vérité la sainte nuit de Pâques. Nous ne savons peut-être pas par quel bout commencer. Et puis nous sommes peut-être fatigués pour nous lancer dans une telle entreprise. Je pense ici à ce que me disait cette personne il y a quelques jours: « Depuis des années, j’essaie de vivre le Carême mais rien ne change. Je suis toujours la même, toujours aussi loin de l’Évangile, toujours aussi loin de ce que Dieu attend de moi. Je n’arrive pas à changer. »

Frères et sœurs, bien fraternellement, je nous le dis: « Ayons confiance! Essayons encore, encore! Ne craignons pas de prendre le chemin qui nous conduit à Pâques! Le Seigneur marche avec nous, jour après jour. Il nous donnera les vivres dont nous aurons besoin. »

Eh bien, sans plus attendre, avançons. Et aujourd’hui, vous l’avez constaté, le rideau se lève sur un paysage fabuleux: le désert! Là, au désert, le Christ revit l’histoire de ses ainés. Durant quarante ans passés au désert les Israélites avaient succombé à la tentation. Tentation de l’infidélité. Tentation de l’idolâtrie.

Tenté, Jésus reste fidèle. Fidèle à son père. Fidèle à la mission reçue. Loin de tout pouvoir. Loin de toute domination. Dans l’humilité servante. Au désert, Jésus se montre vainqueur dans la force de l’Esprit et par là nous donne un avenir tout en nous indiquant ce qu’est tout itinéraire vers Pâques: un COMBAT!

Nous voilà ramenés, frères et sœurs, à ce constat qui ne vieillit pas: la vie chrétienne, toute forme de vie chrétienne est un combat. Oui, un combat mais un combat contre quoi, contre qui? Contre tout ce qui en nous et autour de nous cherche à démolir notre réalité chrétienne. Contre tout ce qui en nous et autour de nous cherche à nous faire perdre notre visage de chrétien. Combattre oui pour demeurer fidèle. Fidèle au Christ. Fidèle à son baptême. Fidèle à son Église. Fidèle à ses engagements. Fidèle à sa prière. Chacun de nous sait très bien où se trouve son champ de bataille. Chacun de nous sait très bien où il doit bagarrer pour demeurer fidèle. C’est dans l’Esprit que Jésus a été vainqueur. Nous aussi, en compagnie de l’Esprit, nous pourrons être vainqueurs.

Le désert, un lieu de combat et de victoire mais aussi un lieu de silence. Le désert: comme une offrande de silence. A l’opposé de nos villes et de nos cités qui sont devenues la proie de tant de bruits, bruits de toute espèce, bruits que l’on déclare fuir mais que l’on recherche insidieusement, comme une drogue, sans nous rendre compte que nous sommes en manque de nous-mêmes et en manque de Dieu.

L’Évangile de ce dimanche nous suggère, à sa façon, que le bruit peut être aussi une tentation. Non seulement de nous laisser envahir par le brouhaha extérieur mais encore de nous rendre esclaves des folles rumeurs de nos passions intérieures. Elles font parfois un tel remue-ménage qu’elles forment en nous comme un mur qui nous empêche de nous retrouver nous-mêmes et d’être disponibles à l’aventure intérieure en compagnie du Dieu vivant qui nous habite.

Frères et sœurs, il y a peut être urgence à faire désert en nous. Il y a peut être urgence à réapprendre le silence. Faire désert en nous pour écouter le silence qui a ses intensités, ses couleurs et ses messages.

Mais me direz-vous le silence a ses ambiguïtés? C’est vrai, il y a des silences coupables, des silences moqueurs, des silences d’indécision, sans compter ce terrible silence qui s’appelle la solitude. Mais vous l’avez bien compris, il est question ici d’un autre silence, d’un silence tout autre qui est disponibilité, accueil, réceptivité, et c’est ce silence-là qui nous installe en Dieu et qui nous apprend l’écoute des autres.

Pas toujours facile, je le sais, d’abandonner nos occupations de vie pour faire désert, pour faire silence. Peut être pourrions-nous pendant ce temps de Carême essayer de nous orienter vers ces lieux qui sont plus paisibles que d’autres: le fond de notre chambre peut-être, ce coin de nature peut-être, ce monastère peut-être. C’est là que Dieu nous attend et veut parler à notre cœur. Une fois de plus, c’est l’Esprit-Saint qui nous offre ce temps de désert. Il ne s’agit pas ici d’une évasion du réel mais plutôt d’un enracinement vrai dans la charité.

Ce soir, frères et sœurs, laissons monter cette prière: ‟Restaure en nous, Seigneur, tout au long de ce Carême, la part de silence dont nous avons tant besoin et que nous volent tant de bruits.”

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