Embrassons Jésus avec sa croix

Dis-moi, pourquoi le monsieur est cloué ?

Combien de fois ai-je entendu cette phrase par de petits enfants interrogeant leur mère ou leur grand-mère qui les amenaient à l’église ? Jésus en croix ne laisse personne indifférent. Il fascine d’autant plus que nous sommes loin d’imaginer, à l’inverse des premiers chrétiens, l’horreur scandaleuse, monstrueuse, effroyable qu’évoque cet instrument : instrument de torture et d’agonie ; outil de mort. La croix pour nous est souvent plus poétique et symbolique qu’une icône où est exposée nu, abandonnée, ensanglantée, la chair d’un homme. Voici l’homme dans sa misère et son impuissance. Chrétien, voici ton Dieu dans sa grandeur et sa puissance. Oui, l’amour de Dieu pour nous est folie.

Car, pour nous chercher, il s’est dépouillé, revêtant notre nature. Pour nous sauver, il s’est abaissé pour prendre une croix plus lourde qu’une croix de plomb car en elle résident toutes nos divisions, nos lâchetés, nos impuretés, nos fausses justices, nos meurtres et nos blasphèmes, avec leurs conséquences de souffrances, de maladies, de frustration, de désespoir, pour toute personne, pour toute l’humanité, de tous les temps. Il s’est cloué à notre croix pour que nous soyons gravés dans son cœur. Amour folie, amour qui nous laisse sans voix.

Car n’ayons pas peur de le dire : le Crucifix suscite des sentiments ambigus et contraires.

Pour beaucoup de non-croyants, la Croix suscite la peur. Comment comprendre autrement cet acharnement à détruire les croix de nos églises, comme en Chine, de nos villes et de nos montagnes, comme cette croix de trois siècles séparant deux cols des Pyrénées que quelques heures de martelage ont réduite dernièrement en poussière ? Peur tellement forte que certains en refusent même la réalité historique. Pas de croix selon les témoins de Jéhovah, mais plutôt un poteau pour que l’homme Jésus ne soit pas maudit comme le réclame le livre du Deutéronome (21,23). Pas de croix non plus pour Jésus chez les musulmans pour qui l’échec visible d’un prophète est impossible, qui l’enlèvent de la Croix rouge en Orient, réclament en France sa suppression des enseignes pharmaceutiques. La croix effraye.

Pour les croyants, la confusion est de mise. La croix suscite la tristesse et la joie. La tristesse car ce sont nos péchés qui ont conduit le Christ à sa Passion, ce sont nos fautes qu’il portait, nos fardeaux dont il était chargé. Tristesse bienheureuse en ce qu’elle peut nous conduire à la conversion. Tristesse malheureuse si elle n’est jamais mêlée à la joie. La joie car la mort de Jésus a vaincu la mort. La joie car désormais, avant de regarder nos croix, nous contemplons notre sauveur. Dans son cœur, sur la croix comme dans la gloire du Ciel, il ne cesse de s’offrir à son Père, de supplier pour nous. Croix qui est l’échelle toujours dressée entre Ciel et terre, ancre de notre espérance, charrue qui nous laboure pour que nous portions un fruit. La Croix est le titre de la victoire décisive sur le mal qui n’est plus une victoire que nous devrions acquérir mais que nous avons à gérer dans notre vie.

Mais est-ce un poids ou est-ce un don ? Jésus en Croix fut représenté, tantôt en roi victorieux, tantôt les yeux ouverts, en train de s’offrir, tantôt la tête sur le côté, mort, paisible comme un guerrier après le combat. Fut un temps où tout en gardant le crucifié, les catholiques et les prêtres enlevaient la Croix. Sans doute sa présentation devait-elle être purifiée du jansénisme et d’une certaine culpabilisation morbide et orgueilleuse. Mais cela a conduit à rêver d’un temps où l’humanité serait sans péché, guidée par un Dieu sans haine du péché, vers un royaume sans jugement, sauvée par un Christ sans Croix.

Or, Jésus ne se donne pas sans croix. Mais la croix sans Jésus n’a aucun sens. Notre péché sans sa miséricorde, nos souffrances sans sa consolation, nos angoisses sans sa paix, notre solitude sans sa présence, n’ont aucun sens. Nous ne regardons plus ce qui conduit à la mort comme le serpent dans le désert mais Celui qui s’interpose comme bouclier et qui nous conduit à la vie.

La croix, c’est la liberté ultime du cœur humain qui croit, qui espère, qui aime au cœur de l’esclavage des différentes déchéances de sa nature. Cette contradiction m’est apparue dans toute sa profondeur lorsque, jeune étudiant, au milieu de Dachau avec des amis, je contemplais un champ de bataille spirituel où se côtoyaient une barbarie satanique et une bonté cachée angélique. Les vies de Karl Leisner, de Maximilien Kolbe, d’Etty Hillesum, d’Édith Stein avec tant d’autres l’ont prouvé.

« Qui rougit de votre croix, rougit de votre gloire » écrivait saint Bernard. Le larron qui est en nous voudra-t-il être dans le Royaume du Christ sans demander à descendre de sa croix ? Désirera-t-il prendre la voie de la pénitence, du renoncement ? Cela vous vaut pour vous, cela vaut pour moi. En cette semaine, prenons cinq minutes pour contempler le Crucifix, pour contempler surtout le Crucifié. Et peut-être, à notre tour, nous nous entendrons interroger :

Maman, dis-moi. Marie, dis-nous, pourquoi ton Fils s’est laissé clouer sur la Croix ? Pour la gloire de son Père et le salut du monde. Pour te montrer que son amour est plus fort que la mort. Pour faire de chacun de tes chemins de croix un chemin d’amour, de gloire et de Résurrection. Amen.

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