Exigence de la miséricorde divine. Prédication du 21ème dimanche du temps ordinaire.

« C’est ici la maison de Dieu, c’est ici la porte des cieux ! »

                                                                                   Nicolas Bertin : « Le songe de Jacob »
Le songe de Jacob

 » Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? « 

 

 Lc 13 22-30
Homélie de Fr Benoît-Marie SIMON:
Exigence de la miséricorde divine
Vous en conviendrez, ce passage de l’Evangile ne fait pas partie de ceux qu’on entend volontiers et qu’on cite souvent. D’autant plus que, sur la question du salut, notre sensibilité moderne se veut, résolument, optimiste. Bref, cette lecture a de quoi nous heurter.
A condition, bien sûr, qu’on prenne au sérieux ce qui est écrit, sans tricher. Ce qui n’est pas toujours le cas, tellement nous sommes tentés d’oublier ces paroles du Christ, et de demander aux prédicateurs de les interpréter de telle façon qu’elles cessent de nous troubler.
Et pourtant, la Bible, c’est Dieu qui parle, et Il pèse ses mots. Aussi, chaque parole compte. Par conséquent, nous n’avons pas le droit d’escamoter ce qui nous plait moins, au profit de ce que nous voudrions nous entendre dire.
Une chose est sûre, en tout cas : si nous sommes honnêtes, le texte que nous venons de lire nous interdit de réduire l’Evangile à une ouverture, aveugle et automatique, à tout et à tous. Du coup, il nous oblige à creuser l’idée, facilement superficielle, que nous nous faisons de la miséricorde divine.
Il ne s’agit évidemment pas de la limiter, comme si Dieu mettait des conditions pour pardonner. Il s’agit de comprendre qu’elle est exigeante. Tout simplement parce qu’elle est l’amour même de Dieu. Or, celui-ci est un feu dévorant. Et on ne peut pas demander au feu d’être inoffensif !
Au fond, ce qui nous heurte, dans ce texte, c’est qu’il n’enseigne pas qu’il n’y a rien à craindre. Au contraire !
Mais alors, me direz-vous, pourquoi le célèbre « n’ayez pas peur » du pape Jean-Paul II, au tout début de son pontificat ?
On peut, bien sûr, s’en servir pour affirmer que nous voyons des dangers là où il n’y en a pas. Mais cela peut vouloir dire autre chose, à savoir que, même lorsqu’il y a des motifs objectifs pour craindre, il ne faut pas se laisser paralyser par la peur. Eh bien, l’évangile d’aujourd’hui nous apprend que c’est cette dernière interprétation qui est la bonne.
Prenez le début du texte. La préoccupation de cet anonyme est parfaitement compréhensible. Or, le Christ ne lui dit pas du tout qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Et, surtout, Il ne lui offre aucune garantie. Pourquoi, par exemple, ne pas lui répondre qu’il a tort de craindre que seule une minorité de personnes soient sauvées ? Evidemment, cela lui permettrait de se rassurer à bon compte, par des raisonnements de ce type : si la grande majorité est sauvée, n’étant pas parmi les pires pécheurs, je peux raisonnablement tenir pour acquis que je ferai partie des élus ! Manifestement, le Christ ne veut pas le tranquilliser. Voilà pourquoi il ne lui offre aucun argument sur lequel bâtir une théorie garantissant le salut, sinon à tous, du moins à une écrasante majorité, dont évidemment, nous ferions partie. Il ne donne pas non plus de chiffres. D’où l’impossibilité de se livrer à des calculs de probabilités.
Et la suite de l’Evangile est encore plus troublante. On y voit des personnes frapper à la porte du Royaume, et se faire jeter dehors ! Cela semble tellement loin de ce qu’on affirme habituellement, que je me demande qui d’entre nous acceptera de prendre cela au sérieux ?
En revanche, jamais, dans l’Evangile, le Christ ne dit à quelqu’un que, quoi qu’il fasse, il est réprouvé. Au contraire, Il répète, à chacun de nous, inlassablement et en toutes circonstances : « efforce-toi d’entrer par la porte étroite »
En clair, le Christ refuse de nous rassurer à bon compte, mais il ne veut pas non plus nous décourager, encore moins nous faire vivre dans l’angoisse ou le désespoir. En vérité, Il nous invite à l’espérance ! Encore faut-il bien comprendre que l’espérance est un élan du cœur, et non une garantie qu’on garde dans un coffre. Voilà pourquoi, il s’agit de « s’efforcer d’entrer par la porte étroite », et non de nous endormir, en nous berçant d’illusions.
Prenons un exemple. Lorsque vous partez à l’assaut d’une montagne, vous espérez bien la gravir, sinon vous ne vous lancerez pas dans cette aventure. En même temps, si vous cessez vos efforts, au prétexte que vous êtes sûrs d’y arriver, jamais vous n’atteindrez le sommet.
Eh bien, frères sœurs, il en va de même de l’espérance qui nait de la foi. Avec une différence essentielle, cependant. Dans l’exemple précédent, nous espérons parce que nous estimons avoir les forces suffisantes pour surmonter les obstacles et aller jusqu’au bout. Or, le royaume des Cieux est absolument hors de notre atteinte. Aussi, l’espérance, dont il est question dans cet évangile, est-elle un don de Dieu, et elle s’appuie uniquement sur la promesse du Christ : « sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume » (Luc 12, 32). Attention, cependant : Il ne dit pas que ce Royaume nous sera donné nécessairement et quelle que soit la façon dont nous vivrons. Il s’agit, en fait, d’une invitation ; et elle demande une réponse de notre part. En ce sens, alors, on peut dire qu’il faut, même si c’est en un sens bien particulier, « conquérir » le ciel, au lieu d’attendre tranquillement qu’il nous soit donné infailliblement. En même temps, il ne faut jamais oublier qu’il ne s’agit pas d’y arriver par nous-mêmes. En d’autres termes, nous combattons, mais c’est Dieu qui remporte la victoire.
En conclusion. Puisqu’il s’agit de compter uniquement sur la toute Puissance divine, rien ne doit empêcher l’élan de notre confiance. Mais cela reste une espérance. D’où les exhortations incessantes de l’Evangile à la vigilance et au combat spirituel. Inversement, nos calculs et nos raisonnements engendrent, soit de fausses certitudes qui nous endorment, soit des peurs qui nous paralysent. Et, dans les deux cas, le danger est grand de nous entendre dire un jour : « Je ne sais pas d’où vous êtes ».
Fr Benoît-Marie SIMON
Lien vers la liturgie florale du jour:La porte étroite.