Filet de sauvetage

6 février 2022 – 5è Dimanche du Temps Ordinaire, année C
Is 6,1-2a.3-8 ; Ps 137(138) ; 1 Co 15,1-11 ; Lc 5,1-11
Homélie du frère Damien Duprat



Dimanche dernier, nous avons laissé Jésus à Nazareth, s’enfuyant devant la fureur des habitants qui n’avaient pas accepté que cet enfant du pays revienne avec un message mystérieux dont ils ne connaissaient pas l’origine. Heureusement, tout le monde ne réagit pas comme cela à la parole de Jésus ! Aujourd’hui, près du lac de Tibériade, il reçoit un bien meilleur accueil : s’il doit s’écarter de la foule, c’est parce qu’on veut l’écouter, on est avide de ses paroles. Le voilà qui s’écarte un peu du rivage sur la barque de Simon pour pouvoir tranquillement enseigner les foules.

Vient ensuite ce miracle, où Jésus rejoint Simon et ses compagnons dans leur travail habituel ; ils l’ont déjà vu à Capharnaüm, chasser des démons et accomplir des guérisons ; il a guéri en particulier la belle-mère de Simon-Pierre. Mais voilà un nouveau miracle, tout à fait original : ce miracle est assez discret, il a lieu loin de la foule ; les quelques pêcheurs qui en sont témoins comprennent que ce miracle leur est adressé, à eux d’abord ; Jésus veut leur dire quelque chose, à eux personnellement. Mais que veut-il leur dire ?

Voudrait-il leur montrer que désormais il pourra assurer le succès de leur travail de pêcheurs ? Non, nous le savons bien. Aussitôt, il passe à autre chose ; il montre bien que son objectif est autre. En remplissant leur filet de pêche, le Christ leur donne un signe de la souveraineté qu’il exerce sur les réalités du monde ; mais ces réalités sont subordonnées à une autre réalité plus grande, plus profonde : le Royaume des cieux ; c’est pourquoi Simon-Pierre et ses collègues laissent là leurs poissons ; désormais ils vont apprendre auprès de Jésus un nouveau métier : « désormais ce sont des hommes que tu prendras ».

Cette image du filet employée par Jésus ne doit pas nous rebuter. Pour un poisson, être attrapé dans un filet de pêche est une mauvaise surprise ; mais ici il faut comprendre tout autre chose. Comme les autres paraboles du Royaume des cieux, c’est seulement selon certains de ses aspects que la parabole du filet évoque ce Royaume. Les eaux dans lesquelles le Seigneur vient nous chercher ne sont rien moins que les eaux de la mort dans lesquelles nous sommes plongés à cause du péché. Le péché nous sépare de Dieu, il nous rend indignes de lui ; c’est pourquoi, par nous-mêmes, nous ne méritons pas que le Seigneur vienne à notre secours, encore moins qu’il accomplisse des miracles en notre faveur. Simon-Pierre est bien conscient de cela, c’est pourquoi il s’exclame : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »

Heureusement que Jésus ne se laisse pas arrêter par notre indignité ; s’il a accompli ce miracle c’est précisément pour convaincre ceux qui en ont été témoins de rester avec lui. Simon et ses compagnons commencent de comprendre que c’est en fait Jésus qui lance un filet dans les eaux troubles de notre humanité ; ce filet n’a rien d’un piège, il est au contraire notre chance, une bouée de sauvetage qu’il nous revient de saisir de toute la force de notre volonté, un peu comme le prophète Isaïe qui répondait à Dieu : « me voici ! »

Nous pouvons déjà nous féliciter de nous être laissés attirer par le Christ ; c’est toujours une bonne nouvelle quand il intervient dans nos vies, même si c’est par surprise ou si cela nous bouscule. L’exemple de Simon-Pierre le montre bien : il avait pêché en vain toute la nuit ; revenu à terre, il lavait ses filets, probablement avec la perspective de prendre ensuite un peu de repos. Jésus est venu bouleverser ce programme ; heureusement que Simon a accepté de le prendre dans sa barque pour lui permettre de parler à la foule sans être écrasé par elle ! Simon a été lui-même impressionné par cet enseignement, assez impressionné pour obéir à cette nouvelle demande de Jésus, qui pourtant n’est pas du métier : « Avance au large, et jetez vos filets » ; comme il a eu raison de le faire !

Cette pêche miraculeuse est évidemment aussi une préfiguration de la manière dont se passe l’annonce de l’Évangile ; l’œuvre missionnaire ne donne pas toujours tout de suite le succès escompté ; pourtant, le Seigneur nous appelle à ne jamais nous décourager ; c’est lui qui donne en temps voulu sa fécondité au labeur apostolique, qui demeure toujours nécessaire.

Simon-Pierre, et avec lui toute l’Église, reçoit pour mission de proposer au monde cette planche de salut, inlassablement. N’hésitons pas, nous aussi, à notre mesure, à nous associer à cette œuvre pour offrir au monde le salut qui vient de Dieu !

3 commentaires à propos de “Filet de sauvetage”

  1. Merci pour dette méditation très féconde de ce pacifiant passage d ‘ Evangile : en effet ce  » filet  » est pour nous un  » filet de sauvetage  » ; il met en oeuvre notre salut .
    Mais quelle est la signification de l ‘ autre  » barque  » : une seule Eglise …mais deux barques !
    L ‘ une est – elle l ‘ Eglise séculière et l ‘ autre l ‘ Eglise régulière qui prie mais ne  » jette pas le filet  » en n ‘ étant pas  » spécialiste  » de la Pastorale ?

    • Intéressante question !
      Au-delà de la nécessité pratique de répartir les poissons dans les deux barques, on peut en effet chercher là un sens symbolique. Certains Pères de l’Église ont fait des propositions à ce sujet, comme on peut le voir dans une compilation réalisée par saint Thomas d’Aquin sur chacun des 4 Évangiles : la « Catena aurea » (« Chaîne d’or »). On n’y trouve pas exactement cette idée de la distinction entre Église séculière et régulière ; en revanche, on peut y lire ceci :

      – S. Bède le Vénérable : « Dans le sens allégorique, ces deux barques figurent les Juifs et les Gentils. Le Seigneur les voit toutes deux, parce qu’il connaît dans chaque peuple ceux qui sont à lui, et en les voyant près du rivage, c’est-à-dire en les visitant dans sa miséricorde, il les conduit au port tranquille de la vie éternelle. Les pêcheurs sont les docteurs de l’Église qui nous prennent dans les filets de la foi, et nous amènent au rivage de la terre des vivants. […] La barque de Simon, c’est l’Église primitive dont saint Paul a dit: « Celui qui a opéré en Pierre pour l’apostolat de la circoncision… » (Ga 2,8). Notre Seigneur monte dans une seule de ces barques, parce que la multitude de ceux qui croyaient n’avait qu’un cœur et qu’une âme (Ac 4,32). […] la seconde barque c’est l’Église des Gentils qui, pour suppléer à l’insuffisance de la première est aussi remplie de poissons, qui représentent les élus; car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, il a déterminé le nombre précis de ses élus; et comme il n’a pas trouvé dans la Judée autant de fidèles qu’il en avait prédestinés à la vie éternelle, il cherche pour ainsi dire une autre barque pour recevoir les poissons qui sont à lui, et il répand la grâce de la foi dans le cœur des Gentils. Le filet venant à se rompre, on a recours à la barque voisine; ainsi lorsque Judas le traître, Simon le Magicien, Ananie et Saphire, et un grand nombre de disciples se séparent de l’unité, Paul et Barnabé sont choisis pour exercer l’apostolat parmi les Gentils. »

      – S. Ambroise : « L’autre barque représente la Judée, dans laquelle Jean et Jacques sont choisis; ils viennent de la synagogue à la barque de Pierre (c’est-à-dire à l’Église), et ils viennent pour remplir les deux barques, car tous, Juifs ou Grecs, doivent fléchir le genou au nom de Jésus. […] Nous pouvons encore voir dans cette seconde barque la figure d’une autre Église; car l’Église de Jésus-Christ qui est une, se divise en plusieurs Églises particulières. »

      – S. Cyrille : « Pierre fait signe à ses compagnons de venir à son secours ; un grand nombre, en effet, se sont associés aux travaux des Apôtres : d’abord ceux qui ont écrit les Évangiles, ensuite les autres évêques ou pasteurs des peuples, et les docteurs versés dans la science de la vérité. »

      • Merci d ‘ avoir pris le temps de taper cette très documentée et intéressante réponse qui élargit considérablement notre réflexion sur cet épisode de la vie apostolique de Jésus .
        Vive les pères de l ‘ Eglise qui sous l ‘ action de l ‘ Esprit Saint nous transmettent  » l ‘ INTELLEGENCE DE LA FOI  » !

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