« Je suis la vigne, et vous, les sarments »

2 mai 2021
Cinquième dimanche de Pâques, année B
Ac 9,26-31 ; Ps 21 ; 1 Jn 3,18-24 ; Jn 15,1-8
Homélie du frère Thierry-Marie Hamonic

Vignoble du mas de Daumas-Gassac (Pays-d'Hérault)

Le Royaume de Dieu et, disons, les terroirs de Faugères, de Frontignan et de S. Chinian sont animés d’une commune passion : celle de la vigne et du bon vin. Certaines mythologies ont cru devoir abandonner à des dieux subalternes, tel Bacchus, le soin de veiller sur la vigne. Il n’en va pas ainsi du Dieu des juifs et des chrétiens. La vigne, notre Dieu l’aime tellement qu’il en a fait son affaire personnelle. Tout Dieu qu’il soit, le Seigneur a toujours revendiqué la noble profession de Vigneron.

Est-ce un hasard si Noé, aussitôt après le déluge, n’eut rien de plus pressé que de planter la première vigne ? Et la mésaventure qui s’ensuivit n’a pas rendu Dieu ennemi du vin (à la différence du Dieu chagrin qu’adore une triste religion) bien au contraire. La preuve ? Au tout début de son ministère, Dieu fait-homme changea l’eau en vin aux noces de Cana. Et avant de quitter les siens, il transforma le vin en son propre sang.

I

Pourquoi le Seigneur s’intéresse de si près à la vigne et à son fruit ? Peut-être pour la raison suivante : le vin est le formidable produit de l’association du génie inventeur de l’homme et du génie créateur de Dieu. De là vient que le vin qui réjouit le cœur de l’homme, symbolise aussi la joie que Dieu attend de la coopération des hommes à son œuvre créatrice.

Et pourtant, comme le rappelle si souvent l’Ancien Testament, la vigne humaine fut loin de répondre aux attentes du Seigneur. Ah le triste verjus, ah l’infâme piquette dont on prétendait apaiser sa soif ! Un temps viendrait même où, pour tout remerciement au Dieu vigneron, les hommes lui offriraient le vinaigre de la croix.

Le Seigneur, cependant, n’avait pas lésiné sur les moyens. Par la loi de Moïse il avait tenté d’en émonder les sarments. On pourrait aller jusqu’à dire qu’il lui arrivait même de la sulfater par les paroles décapantes de ses prophètes. Pourtant, en dépit de tous les soins prodigués, sa vigne s’obstinait à ne produire qu’un fruit décevant. Pourquoi ? Parce que depuis Adam, les ceps de la vigne humaine étaient irrémédiablement infectés par le mildiou de l’infidélité.

C’est alors que Dieu eut ce trait de génie : enraciner dans la terre des hommes un plant de vigne unique que l’infidélité des hommes ne pourrait jamais contaminer : son Fils en personne. Jésus serait le pied de vigne unique sur lequel il grefferait les sarments de l’humanité. Lorsque la greffe réussit, c’est-à-dire lorsque l’homme croit vraiment au Christ, la sève de la vie éternelle peut circuler en lui.

II

Mais pour que les sarments humains produisent de beaux fruits, il ne suffit que la foi les greffe sur le Christ. Ces sarments, il faut aussi les émonder.

La vigne c’est une liane dont la vitalité prodigieuse est aussi un peu folle un peu anarchique. Sans l’intervention du vigneron, elle s’étendrait sur des mètres de distance pour ne produire que de petits fruits acides dont on ne peut faire du vin. Il en va un peu de même de l’homme : laissé à lui-même, il se répandrait démesurément de désir en désir et épuiserait ainsi la sève sans porter de fruits qu’on puisse vinifier en vie éternelle. Voilà pourquoi l’homme lui aussi a besoin d’être émondé.

Émonder les sarments ! Quoiqu’on dise, c’est une opération brutale : cela se pratique au sécateur ! Après la taille sèche de l’hiver, lorsque la vigne se réveille au printemps, il se produit un écoulement de sève et les vignerons disent alors que la vigne pleure. Pourtant cette douloureuse opération est nécessaire pour que la vigne porte des grappes généreuses. Mais ce n’est pas tout : à la fin du printemps ou au début de l’été il y a ce que les vignerons appellent la taille en vert de la vigne…

Eh bien il en va de même pour le croyant. Il lui faut être émondé par la Parole du Christ qui souvent retranche impitoyablement certains de ses désirs qui stérilisent sa vitalité. Reconnaissons-le : Dieu pratique souvent ce genre d’intervention sans anesthésie. De là vient que la parole de Dieu fasse parfois mal. Les renoncements que l’Évangile nous impose, cela peut même faire très mal…

Comment s’en étonner ? L’épître aux Hébreux dit en effet que la parole de Dieu est « énergique, plus coupante qu’un glaive à deux tranchants ». Et Jésus lui-même le confirme : « ne croyez pas que je sois venu apporter la paix mais le glaive». Et ce glaive, la parole de Dieu l’introduit jusqu’à la « jointure de l’âme et de l’esprit ». Autrement dit, la parole de Dieu a le pouvoir de retrancher nos désirs trop humains pour nous rendre plus disponibles aux impulsions de l’Esprit-Saint. Qui n’a jamais ressenti jusqu’à la douleur le tranchant de l’Évangile, celui-là ne l’a certainement pas beaucoup écouté.

Dieu merci, la parole du Christ ne se borne retrancher nos désirs inutiles. Son rôle est d’abord de nous aider à discerner les poussées de sève de l’Esprit que nous communique le Christ. Mais il reste que la parole émonde, coupe, tranche. Mais c’est pour nous obliger à diriger notre énergie vitale vers un seul but : produire ces fruits dont sera fait le bon vin des noces éternelles.

III

Une question se pose, tout de même : pourquoi donc le Seigneur ne crée-t-il pas directement le vin dont il a envie ? Après tout, n’a-t-il pas transformé l’eau en vin ? Pour quelle mystérieuse raison attend-il de nous que nous lui offrions ce vin et le travail parfois pénible de la vigne?

La clef de ce mystère tient, me semble-t-il, à ceci : Dieu peut tout créer à partir de rien, excepté une chose : l’amour dont il désire être aimé par les hommes et l’amour dont il veut que les disciples du Christ s’aiment entre eux. Oui ! cet amour là, Dieu lui-même ne peut pas le créer. Il peut sans doute répandre en nous la sève de l’Esprit-Saint qui nous rend capable d’aimer, il peut nous y inciter par les paroles tranchantes de Jésus, mais cet amour là, une fois encore, il ne peut pas le créer. Nous seuls pouvons le lui donner. Il ne peut le recevoir que pour autant que nous consentions à le lui offrir librement.

« C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples » La gloire du Père ? C’est ce qui manifeste aux yeux du monde ce que Dieu est vraiment. On manifeste la splendeur de Dieu en croyant vraiment en son Fils, i.e. en mettent en œuvre sa parole. Comment ? C’est ce que Jésus va préciser quelques versets plus loin : « voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé »

Et la taille, parfois douloureuse, de la vigne ne vise qu’a produire ce fruit là : l’affection et l’aide que les chrétiens s’apportent mutuellement : c’est cela qui manifestera aux yeux du monde que Dieu est essentiellement amour.

Une réponse à “« Je suis la vigne, et vous, les sarments »”

  1. Merci pour cette éclairante homélie qui explique minutieusement toute la symbolique , et ses conséquences , de l ‘ image de  » La VIgne  » présente tout au long des Ecritures .

    Nous saisissons enfin toute la richesse de sa signification qui risquait de rester obtuse et ambiguë , du fait que la vigne engendrait l ‘ idée du vin  » à consommer avec modération  » et non destiné aux enfants .

    Cette homélie nous fait comprendre que ces dérives sont totalement étrangères à l ‘ évocation de Jésus = cep irriguant les sarments greffés sur la cep par le baptême et qui ne produisent des fruits qu ‘ à condition d ‘ accepter d ‘ être émondés , sans jamais se détacher du cep , mais en en recevant tout ce qui fait vivre .

    Il n ‘ est pas encore question de vendanges et de vin mais que de fruits ; la seule exception est Cana , où se dévoile  » la vie du monde A VENIR  » .

    Le seul vin lié à cette vigne à consommer ici – bas est Celui de l ‘ Alliance Nouvelle et Eternelle , qui n ‘ est pas du vin , mais le sang versé par Jésus , qui irrigue cette vigne .

    Encore merci pour cet enseignement .

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