13 juin 2021
11è dimanche du Temps Ordinaire
Ez 17,22-24 ; Ps 91 (92) ; 2 Co 5,6-10 ; Mc 4,26-34
Homélie du frère Jorel François
Il est souvent question de règne ou de royaume (de Dieu, cf. basileia tou theou) dans nos bibles françaises. Et il y eut même, faut-il le rappeler, des tentatives d’amalgame entre le royaume de Dieu et le royaume des hommes dans l’histoire. En réalité, faisait remarquer, je crois, un vieux frère dominicain, théologien, Edward Schillebeeckx, mort il n’y a pas très longtemps, le terme «royaume» n’existe pas dans la bible, au moins dans le premier testament. Ce qui existe, c’est le terme «malkuta», qui veut dire «pouvoir souverain» et non «royaume» en tant que tel. C’est vrai aussi qu’au moins depuis l’établissement de la monarchie en Israël, les écrivains bibliques n’ont de cesse de présenter Dieu tel un roi terrestre, tout comme l’idée même d’alliance évoque les contrats politiques qui se passaient à l’époque. Cela étant, la Septante, qui est cette traduction faite en grec à partir de l’hébreu, à Alexandrie sous Ptolémée, à laquelle se sont beaucoup référés les premiers chrétiens, à commencer par les évangélistes eux-mêmes, traduit malkuta par basileia, d’où, en français, «royaume» et son équivalent dans les autres langues vivantes.
Dans les évangiles, Jésus est le pouvoir souverain de Dieu et donc, traduisons : le royaume lui-même. Et pourtant, c’est aussi le royaume et sa venue qu’il a prêchés. Nous lisons en effet : si c’est par le doigt de Dieu que j’accomplis ce que j’accomplis, c’est que le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous (cf. Lc 11, 20). Ou encore, rappelle Jésus : la venue du royaume de Dieu ne se laisse pas observer. Si l’on vous dit qu’il est ici ou qu’il est là, n’y croyez pas, car voici : le royaume de Dieu est au milieu de vous (cf. Lc 17, 21 et passages parallèles).
Le royaume est donc peut-être là où nous l’attendons le moins. S’il est à venir, il est aussi déjà là au milieu de nous, livré entre nos mains. Le royaume c’est bien quelqu’un. Écoutons encore Jésus nous parler : voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20).
C’est donc entendu que Jésus, pouvoir souverain de Dieu, est alors le royaume de Dieu au milieu de nous. Mais en même temps, je nous le demande : sous quel mode est-il au milieu de nous? Jésus a-t-il explicitement affirmé ce qu’était le royaume?
Deux petites paraboles nous sont aujourd’hui proposées pour que nous puissions nous en faire une idée. J’ai dit « nous en faire une idée », j’aurais dû dire, «deux images », c’est-à-dire quelque chose de non conceptuel, qui ne se laisse pas enfermer dans une dénotation; quelque chose qui reste ouvert, quelque chose de non circonscrit, qui renvoie à ce qui dépasse l’intelligence humaine, parce que la réalité du royaume, sa nature relèvent du mystère.
Si Jésus est bien le royaume, ne le confessons-nous pourtant pas vrai Dieu et vrai homme? Ne le confessons-nous pas fils de Dieu et pourtant Dieu, lui-même, en vérité, et en même temps vrai fils de Marie? Une personne avec deux natures (én duo physésin), explique le concile de Chalcédoine (451), « sans confusion (asynchytôs) ni changement (atréptôs), sans division (adiairétôs) ni séparation (achôristôs) ».
Jésus, pouvoir souverain de Dieu, est présent en chacun de nous, et pourtant ne l’avons-nous pas célébré solennellement dimanche dernier dans le pain et le vin donnés en nourriture et boisson en mémoire de lui? N’est-il pas tout à la fois présent, absent…?
Le royaume de Dieu est comme les empreintes d’une parole déposée dans les cœurs. Les jardiniers humains, professeurs, scribes et pasteurs de tout poil, peuvent bien se démener pour désherber, pour arroser, mais il faut bien qu’ils se résolvent à accepter qu’il n’est finalement pas de leur compétence de la faire germer, de la faire croitre et fructifier…
Le royaume est tel une graine de moutarde, petite graine s’il en est, discrète, fragile, à peine perceptible. Et pourtant, celle-ci peut croitre et supplanter bon nombre d’arbres…
Sœurs et frères, vous avez sans doute remarqué que Jésus ne dit pas dans cette portion d’évangile que le royaume, c’est ceci ou cela, mais bien qu’il est comparable à ceci, à cela. C’est d’autant plus curieux que c’est Jésus lui-même, pouvoir souverain de Dieu au milieu de nous, qui a bien voulu ainsi se dire – comme à travers un voile.
Si Dieu, lui-même, et son fils Jésus, ont bien voulu que ce soit ainsi; qui suis-je pour vouloir que ce soit autrement?
Ces paraboles entendent peut-être nous rappeler que c’est donc à travers le clair-obscur de la foi que nous cheminons, dans l’humilité de cœur et non pas dans l’arrogance des certitudes, le triomphalisme des évidences.
Que la grâce de Dieu continue de nous donner d’avancer dans la foi, l’espérance et la charité. Amen