Jugement éclairé, de Fr Matthieu Gauthier.

Le jugement de Salomon et l’enfant mort-Nicolas Poussin-1649

Le jugement de Salomon

1 Co 4, 1-5

 » Il rendra manifestes les intentions des cœurs. « 

 

 Homélie dominicale de Fr Matthieu Gauthier :
Version phonique :

Version écrite:

  Jugement éclairé…     
             Quand j’étais petit, alors que je demandais sagement pardon à un ami en disant la parole magique : « Je m’excuse ! », on m’a répondu : « Si tu t’excuses, je n’ai même plus à le faire. » Comme je ne comprenais pas, il m’explique que si je lui avais demandé : « Excuse-moi ! », il l’aurait fait volontiers, mais que si je disais : « Je m’excuse », ça voulait dire que je m’excusais moi-même. Ce n’était pas mon intention, mais ces expressions ainsi toutes faites trahissent parfois une attitude habituelle et cachée : combien de fois, en fait, cherchons-nous à nous excuser nous-mêmes ?
            Il en est de même pour une autre expression : celle de se justifier. Quand on me demande de me justifier, et que je me justifie, est-ce que je cherche à me rendre juste moi-même ? Ou par moi-même ? Voici un piège dans lequel saint Paul ne tombe pas : il refuse de se justifier. Et même, dit-il, si sa conscience ne lui reproche rien, ce n’est pas ça qui le rend juste. Alors qu’il se montre à l’occasion si affectif, qu’il demande si ardemment à ce qu’on l’aime, on le voit ici déjouer la tentation.
            Et pourtant, c’est si redoutable de se voir accusé ou même simplement soupçonné faussement de quelque chose. C’est si spontané de chercher à corriger le regard faux des autres sur nous. Avec deux écueils : assiéger l’autre jusqu’à avoir eu gain de cause, ou en perdre l’appétit, le sommeil, ou plus grave, la joie. Ceux qui sont calomniés connaissent bien ce qui habite le cœur dans ces cas-là. Alors que faire ?
            Eh bien regardons Jésus ! « C’est par Béèlzéboul (Belzébuth) que tu chasses les démons ! » Jésus répond simplement : « Et vous, c’est par qui ? » « Donne-nous un signe du ciel ! » – « Il n’y aura pas pour cette génération d’autre signe que celui de Jonas ! » « Il a dit qu’il détruirait le Temple et qu’en trois jours, il le relèverait ! » … Silence. Ici Jésus ne répond même pas. Il accomplit l’injonction terrible : « Si on te frappe sur la joue droite, tends encore la gauche ! » Il y a des gifles qui ne sont pas données avec la main, et qui sont autrement douloureuses.  Jésus ne se justifie pas, car il n’est pas venu se justifier. Il est venu nous justifier.
            Mais il y a un autre piège que l’auto-justification. C’est celui d’acculer l’autre à se justifier à cause du jugement qu’on porte sur lui. C’est courant qu’au cours d’une discussion sur des attitudes ou des actions d’autres personnes, on entende : « Il ne faut pas juger ». On applique simplement la demande de Jésus : « Ne jugez pas, et nous ne serez pas jugé ». Et pourtant, saint Paul écrit : « Ne soyez pas des enfants pour le jugement. Pour le mal, soyez des petits enfants. Mais pas pour le jugement. » Autrement dit, ayez cette naïveté enfantine lorsqu’il s’agit du mal. Mais ayez de la perspicacité et du discernement lorsqu’il s’agit de juger des choses. Et Jésus lui-même ne propose-t-il pas d’aller trouver notre frère seul à seul, lorsqu’il a péché, pour le reprendre ?
            Y a-t-il donc deux poids deux mesures ? Ou plus simplement, ce mot jugement aurait-il des significations diverses ? Évaluation ou condamnation, ça n’est pas la même chose ! Il peut avoir des objets différents. Juger les actes ou les intentions, ça n’est pas la même chose non plus. Si les intentions d’un acte ne sont pas révélées, nous n’y avons absolument pas accès de l’extérieur. Chercher à deviner les intentions secrètes s’appelle faire un procès d’intention. Or en dehors de nous-mêmes, l’intimité de notre conscience n’est accessible qu’à Dieu, nous dit saint Paul. Ne portez pas de jugement prématuré ! Attendez donc son jugement à lui.
            Car son jugement est lumineux. Non pas la lumière violente d’un interrogatoire policier, mais la lumière de la victoire de sa miséricorde ; lumière qui révèle même nos intentions secrètes, celles qui parfois nous sont cachées à nous-mêmes, nous qui nous comprenons si difficilement ; lumière du regard de Dieu qui pacifie celui qui se soumet à ce jugement : comme nous le dit la liturgie des funérailles, Dieu est le juge dont nous n’avons rien à craindre.

Fr Matthieu Gauthier op.

Lien vers la liturgie florale du jour : Leçon de sagesse.