9 février 2025 – 5e Dimanche du Temps Ordinaire, année C
Is 6,1-2a.3-8 ; Ps 137(138) ; 1 Co 15,1-11 ; Lc 5,1-11
Homélie du frère Damien Duprat
La barque depuis laquelle Jésus enseigne et qui se remplit de poissons à la faveur de ce miracle bien connu, cette barque constitue un très beau symbole de l’Église. C’est Jésus lui-même qui fait cette comparaison quand il décrit l’orientation nouvelle qu’il donne à l’existence de Simon et de ses collègues. Il les a rejoints dans le concret de leur vie et de leur travail. Entre ce travail et la mission que Jésus leur confie, il y a à la fois une continuité et une grande nouveauté. Désormais, la préoccupation principale de leur vie ne consistera plus à prendre des poissons dans le lac de Tibériade, mais à attirer leurs semblables vers lui, Jésus. Le mot d’Église n’apparaît pas ici ; on le chercherait d’ailleurs en vain dans l’Évangile de Luc. On trouve en revanche de nombreuses fois ce terme d’Église sous la plume du même Luc dans les Actes des apôtres, qui décrivent justement l’extraordinaire croissance de cette Église au cours des années qui ont suivi la Résurrection du Seigneur.
Je vous propose ce soir une petite méditation sur l’Église et sur la mission qui est la sienne, à la suite de Simon-Pierre. Cette mission, je le disais à l’instant, présente des similitudes avec le travail de pêcheur ; mais comme toute comparaison, celle-ci est limitée, et pour commencer je voudrais souligner deux différences évidentes entre ces deux activités.
Premièrement, quand un poisson se retrouve dans un filet, c’est bien sûr sans volonté de sa part ; il est pris par surprise ; au contraire, entrer dans l’Église et y demeurer vraiment relève d’un choix volontaire, d’une décision libre et éclairée ; même quand le Seigneur se manifeste d’une façon spectaculaire comme il l’a fait par exemple pour S. Paul sur la route de Damas, il sollicite toujours l’adhésion libre de notre foi ; d’ailleurs, ne parle-t-on pas d’acte de foi ?
Deuxièmement, quand un poisson est sorti de l’eau qui constitue son milieu de vie, sa fin est proche ; à l’inverse, quiconque entre dans l’Église par le baptême est tiré des eaux du péché et de la mort, il reçoit de la part du Créateur une vie nouvelle, surnaturelle, destinée à durer pour toujours. Faire partie de l’Église, c’est LA chance de notre vie ! Il me semble important de nous en rappeler. Appartenir à l’Église n’est pas seulement un chemin vers Dieu, à côté d’autres chemins qui seraient équivalents voire meilleurs. Jésus nous l’a dit : « personne ne va vers le Père sans passer par moi » (Jn 14,6). Où mieux que dans l’Église pouvons-nous rencontrer Jésus ? Cette Église, la communauté des baptisés, constitue elle-même le corps du Christ. C’est elle, l’Église édifiée sur les apôtres, qui a reçu de Jésus lui-même le pouvoir de le rendre présent au cœur du monde dans l’Eucharistie et dans les autres sacrements. Si quelqu’un nous dit que Dieu est lointain, qu’il se cache, ou même qu’on ne peut pas savoir s’il existe, nous pouvons répondre qu’il se rend proche, très proche de chacun, dans et par son Église.
Mais alors, qu’en est-il de ceux, et ils sont innombrables, qui parcourent le chemin de leur vie sans jamais être baptisés ? Seraient-ils par là même privés du salut offert en Jésus-Christ ? On remarque souvent, avec raison, que beaucoup de personnes qui ne professent pas la foi chrétienne, ou même qui se réclament d’une autre religion, mènent une vie tout à fait honorable voire sainte, du moins autant qu’on puisse en juger puisque Dieu seul connaît le secret des cœurs. Serait-ce le signe qu’ils n’auraient pas besoin de Jésus et de l’Église ? Non. Pour le comprendre, il nous faut bien avoir à l’esprit que l’Église est un mystère et qu’elle ne se limite pas à ce qu’elle a de visible. Dieu donne sa grâce abondamment, comme Jésus nous le dit dans la parabole du semeur, si bien que comme l’enseigne l’Église : « l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon connue de Dieu, la possibilité d’être associés au mystère pascal » (Gaudium et spes n°22). Être associé au mystère pascal, ce n’est rien de moins que vivre de la vie même de Dieu, dès cette terre et plus encore par la suite, quand nous aurons atteint notre véritable patrie qui est le Ciel.
C’est ainsi que tout être humain, depuis Adam jusqu’au dernier qui viendra au monde, se voit proposer par Dieu lui-même un compagnonnage avec lui, et cela par des voies parfois invisibles. Chacun, dans la mesure où il accueille la grâce de Dieu, est associé d’une manière ou d’une autre à l’Église du Christ, quand bien même il n’en a aucune idée.
Puisqu’il en est ainsi, pourquoi accorder tant d’importance au baptême ? En quoi est-il nécessaire de participer à la vie et aux sacrements de l’Église ? La raison en est simple : il est bien préférable de marcher avec Jésus en le connaissant que sans le savoir. N’est-ce pas une chance immense que de cheminer consciemment, en bénéficiant déjà de la lumière de la foi, avec celui que nous espérons contempler face à face au-delà de la mort ? N’est-ce pas un cadeau à offrir aux autres que de les inviter à monter, ou à rester, dans cette barque de l’Église ? Les tempêtes qui sévissent sur la mer du monde n’ont pas le pouvoir de l’engloutir ; même les fragilités et les fautes humaines qui pourraient sembler mettre en péril cet esquif ne sauraient avoir raison de la promesse faite par Jésus lui-même : « la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle (Mt 16,18). Enfin, n’oublions pas que dans cette Église se trouve la Vierge Marie, et même, qu’elle marche en tête de l’humanité sauvée sur son chemin vers le Royaume de Dieu. Ainsi que l’enseigne le Concile Vatican II : « l’Église, dans la bienheureuse Vierge, atteint déjà à la perfection, qui la fait être sans tache ni ride (cf. Ep 5,27) » (Lumen gentium n°65). Voilà qui nous pousse à la confiance, voilà qui nous stimule à faire ce que nous pouvons pour participer de tout notre cœur à la vie de cette Église et pour proposer à d’autres d’y entrer.