Bonne nouvelle pour les pauvres

16 février 2025 – 6e Dimanche du Temps Ordinaire, année C
Jr 17,5-8 ; Ps 1 ; 1 Co 15,12.16-20 ; Lc 6,17.20-26
Homélie du frère Jorel François



Ces paroles que nous venons d’écouter sont pour ainsi dire communes aux évangélistes Matthieu et Luc.

Chez Matthieu, Jésus les prononce alors qu’il est au début de son ministère. Il vient de terminer son long séjour de quarante jours au désert où il est sorti victorieux du Satan. Il a aussi déjà appelé ses premiers apôtres (André, Pierre, Jacques et Jean), et les gens commencent à venir à lui. Matthieu explique qu’il gravit la montagne et fit ces déclarations (Mt 5, 1-12).

La montagne rappelle évidemment le Sinaï, et les paroles : les tables de la loi. Jésus est alors, selon Matthieu, le Nouveau Moïse; les béatitudes, la loi nouvelle. Jésus étant tout à fait au début de son ministère, on peut dire qu’il s’agit ici d’une sorte de feuille de route, d’un discours-programme, qu’il a d’ailleurs été le premier à réaliser, pour le proposer à ceux qui sont appelés à être ses disciples.

Chez Luc, la situation est un peu différente. Certes Jésus est déjà passé par l’ascèse du désert, certes il a déjà choisi ses apôtres, mais il ne gravit pas la montagne. Au contraire, il en descend. L’évangéliste insiste même pour dire qu’il est dans la plaine et s’assoit. Il se trouve là, avec les apôtres qu’il vient de choisir, et entouré par la foule venue pour l’entendre et se faire soigner. Et c’est alors qu’il s’est mis à proclamer les béatitudes.

La montagne, dans les temps anciens, c’est comme l’Olympe. C’est le lieu où séjournent les dieux. C’est donc le lieu idéal pour les rencontrer, à condition qu’on puisse aller jusque-là. Mais nous savons que depuis la bravade de Prométhée, sorte de péché originel grec même s’il y en eut d’autres en fonction des mythes considérés, il n’est pas du tout certain que l’homme puisse aller jusque-là. L’homme ne vit plus avec les dieux desquels il a été séparé. Et dans le Premier Testament, nous ne sommes plus au temps où Moïse pouvait gravir le Sinaï pour aller s’entretenir avec Dieu face à face, même s’il est aussi dit qu’il ne l’a vu que de dos et que lui, Dieu, ne parlait qu’à travers le tonnerre. Désormais, c’est donc Dieu qui descend de la Montagne à la rencontre de l’homme.

Il y a là quelque chose qui témoigne de l’incarnation. Dieu ne parle plus à partir de l’Olympe ni du Sinaï, mais descend dialoguer avec l’homme. Ce n’est pas sur la montagne qu’il s’entretient avec les douze, comme pour communiquer un message ésotérique, mais dans la plaine, en présence de tout le monde. Les apôtres et la foule entière ont entendu l’enseignement. Personne ne peut dire alors qu’il ne connaît pas la volonté de Dieu. La parole descend du ciel et vient à la rencontre de l’homme. Elle se met à la portée de tous. L’homme n’a désormais plus d’excuses; ou plutôt c’est vite dit, et même trop vite dit.

Vous avez écouté : il suffit d’avoir été dans la gêne ou d’avoir connu quelques pauvres de près; il suffit d’avoir eu la désagréable opportunité de devoir pleurer, pour avoir été malmené, secoué par la vie pour se rendre compte qu’il s’agit là d’un message inédit, inouï, inaudible, et donc manifestement irrecevable, inacceptable…

Déclarer heureux les pauvres, les éplorés… est de prime abord scandaleux. Et si vous continuez à parcourir le récit de Luc, vous verrez que Jésus invite même à l’amour des ennemis et demande de ne pas juger… Quel chambardement. Un véritable renversement de l’ordre du monde, qui n’est même pas à la limite du tolérable et du supportable.

Les valeurs de Dieu ne sont décidément pas les valeurs du monde. Le royaume de Dieu n’est pas du monde. On ne peut entrer dans cette logique que pour autant qu’on est du royaume, c’est-à-dire qu’à condition que l’on s’ouvre à ce royaume qui est gratuitement offert, à condition de l’avoir généreusement accepté. Aussi, la toute première béatitude, la plus fondamentale, celle qui suppose et résume toutes les autres, est-elle, on peut le supposer, le fait même d’être du royaume, le fait de l’avoir accepté, ou encore de s’être ouvert à lui.

Vous êtes bienheureux parce que vous êtes du royaume. Vous êtes bienheureux parce que vous avez accepté le royaume qui vous est proposé, et c’est aussi pour cela que vous écoutez Jésus et que vous le suivez.

Cela étant, parce que vous êtes du royaume, et c’est aussi cela la conséquence infaillible d’avoir accepté le royaume, sur la terre, vous allez avoir faim, sur la terre, vous allez pleurer… alors que d’autres riront. Sur la terre, on vous haïra… parce que le royaume n’est pas de ce monde.

Ce n’est pas que le monde soit en lui-même mauvais : Dieu aime le monde puisque c’est lui qui l’a créé. Le problème, c’est que le monde n’aime pas Dieu, et il ne veut pas de Dieu… Et dès lors, il n’aime pas non plus qui est de Dieu, qui vient de Dieu, qui parle de Dieu ou comme Dieu aurait parlé.

Vous vous rappelez sans doute la phrase de Notre Dame de Lourdes à Bernadette Soubirous lors de leur troisième rencontre : « je ne vous promets pas le bonheur en ce monde, mais dans le suivant ». La terre n’est pas le ciel, rappelait saint Augustin, mais seulement le noviciat du ciel.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*