Voir en l’autre le Christ

23 février 2025 – 7e Dimanche du Temps Ordinaire, année C
1 S 26,2…23 ; Ps 102 (103) ; 1 Co 15,45-49 ; Lc 6,27-38
Homélie du frère Marie-Philippe Roussel



La scène se passe dans une tente militaire. Tout l’état-major est présent, en ébullition, tentant de trouver une parade et un moyen de vaincre l’armée d’en face. Et le général, tranquille, de lancer le trait suivant : « de toute façon, quoique nous fassions, nous ne pouvons que gagner ! » Tous les lieutenants et autres capitaines de rester bouche bée : « comment pouvez-vous dire cela ? ». Réponse du général : « vous voyez, nous ne pouvons que gagner, parce que notre ennemi est bête. Il pense que, dans cette confrontation, c’est nous le méchant alors que c’est lui ! »

Ainsi en est-il depuis que le péché est apparu, nous sommes capables, non seulement d’être bêtes, mais aussi d’être méchants. Même si, parfois, la bêtise provoque plus de mal que la méchanceté. Depuis Adam, nous sommes rentrés dans un cycle d’accusation et de division. L’homme avait accusé la femme, la femme le serpent et le serpent le fruit. L’Écriture s’en fait l’écho : un mur de haine est dressé entre juifs et païens, un abysse de péchés entre les hommes et Dieu. Une samaritaine ou une syro-phénicienne n’ont pas de grâce aux yeux des apôtres, l’étranger, par intolérance, racisme, misogynie et autre, est par excellence l’ennemi. Ce qui vaut de manière sociétale est valable de manière personnelle : jalousie, esprit de domination, de convoitise, de suspicion, tel un poison, rongent les cœurs et montrent, dans nos informations quotidiennes, l’étendue de sa puissance.

Esprit de division, du diviseur qui peut amener chacun à la violence, amener l’esprit d’Adam à Caïn. Si l’autre est mauvais, voire le mal, fusse-t’il mon frère Abel, puis-je faire autre chose que de le détruire. Et depuis ce premier meurtre, nous reproduisons le geste de Caïn. Oh, peut-être pas avec un gourdin, de manière plus sophistiquée : nous avons des bombes nucléaires, des avions de chasse. Et nous avons la sacrée manie de faire d’autrui notre ennemi.

Puis vient Jésus. L’ancien Adam est l’homme voulant se faire Dieu sans Dieu, fait d’argile. Le nouvel Adam est Dieu se faisant homme, venant du Ciel. Le premier a engendré une descendance de pécheurs, le second vient engendrer une descendance de sauvés. Il vient pour briser ce cycle infernal. Il vient chasser la division pour établir la communion entre Dieu et les hommes et les hommes entre eux. Il vient pour arrêter le cycle de violence et inaugurer un autre cycle, celui qui sera l’écho sans cesse renouvelé dans le temps et l’espace, de son pardon, de son offrande, de son sacrifice.

Vous me direz : « frère, c’est vrai que Jésus est un bel exemple mais il ne nous a rien partagé : pas de manteau ou richesse ! » C’est vrai : il a fait bien plus. Il a tout donné ce qui lui appartenait en propre.

Il nous donne son Père, son Abba, son papa chéri : je monte vers mon Père et votre Père. Quand vous priez, dites notre père. Il donne son Esprit qui unifie l’Église et la rend sainte. Il donne son corps et son sang, il se donne lui-même à la Croix et sur l’autel, en chacune de nos eucharisties.

Il nous faut choisir notre Adam, notre descendance. Appartenir à l’ancien ? Appartenir au nouveau comme nous y invite saint Paul : quelle image voulons-nous refléter ?

Croire en Jésus est une chose. Devenir comme Lui, semblable à Lui en est une autre. Celui qui aime Dieu a un cœur divin qui, devant la misère des autres, ne se dit pas « que Dieu lui vienne en aide » mais « je vais montrer Dieu par mon aide ». Cette conversion du regard se passe en trois étapes dans le livre de Samuel.

Tout d’abord, cesser de voir l’autre comme ennemi. Ou plutôt, même si l’autre se fait notre ennemi, refuser de devenir son ennemi. Quand David descend au camp de Saül, Abishaï le tente : « prends sa lance et plante-la dans le cœur ». David prend bien la lance mais pour le désarmer. C’est la miséricorde, la douceur, la magnanimité, le respect qui fait tuer en nous l’image de l’autre comme ennemi. Sans renier le devoir de justice et de vérité, en répétant la phrase de Jésus et de saint Étienne : « Seigneur, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Ensuite, voir l’autre comme un frère et une sœur. La suite du texte fait entendre que David appelle Saül son père dont il ne comprend pas la haine et Saül appelle David comme son fils qu’il renonce à détruire. Le Seigneur a établi une nouvelle relation en chacun de nous : il nous confie les uns aux autres.

Enfin, voir le Christ en l’autre. Quand t’avons-nous vu nu, avoir faim et être seul, et t’être venu en aide, Seigneur ? A chaque fois que vous l’avez fait à un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait. Le Christ réclame en l’autre notre compassion, notre bienveillance, notre pardon. Il nous invite à renoncer à condamner et à donner gratuitement. David voyait en Saül l’oint, le roi choisi du Seigneur. Il ne peut s’y attaquer sans s’attaquer à Dieu même.

O bien sûr ! que de conversion personnelle et communautaire cela demande. Refuser la division en nous et entre nous. Or, nous devrions en avoir honte et fortement parfois. Nous aimons les clans : progressistes, tradis, charismatiques, conciliaires, conservateurs. Quel honte à parler ainsi ! Nous appartenons donc au Christ et à son unique Église. Cela devrait nous suffire, non ?

Car quand il y a un chrétien, une paroisse, une communauté chrétienne, cela doit changer. Ce cycle de division s’arrête avec moi, ce cycle de violence s’arrête avec nous. Cette semaine, chaque matin, prenons cinq minutes, pour demander à Jésus de nous donner son regard sur les autres : son regard de justice et de vérité, son regard de tendresse et de miséricorde infinie.

Nous avons à faire ce qui est possible. Dieu se chargera de l’impossible. Amen.

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