La chair sauvée

18 août 2024 – 20e dimanche du T.O., année B
Pr 9, 1-6 ; Ps 33 (34) ; Ep 5, 15-20 ; Jn 6, 51-58
Homélie du frère Jean-Marc Gayraud



La rencontre de Dieu et de l’homme s’opère dans une condition humaine qui est charnelle. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », nous dit le Christ qui a pris notre chair pour que notre chair devienne la sienne, sa chair et son sang. Celui que nous assimilons nous assimile à Lui. Nous demeurons dans le Fils comme le Fils demeure dans le Père et cette inhabitation vient se loger à même la chair de l’homme.

Qu’entendons-nous donc ici par « la chair » ? Non pas une partie du composé humain, encore moins ce qui se réduirait à n’être que du sensuel ou du sexuel. L’homme charnel, selon la perspective biblique, c’est l’homme tout entier, mais qualifié dans son humanité la plus concrète, la plus terrestre. Une humanité qui est particulièrement fragile, qui va vers la mort, qui peut être désespérément livrée à elle-même. Pour autant, une telle humanité est faite pour s’ouvrir à la vie de Dieu, elle appelle d’elle-même cette vie de Dieu. La chair est capacité de Dieu, précisément parce qu’elle ne peut pas se suffire à elle-même. Parce qu’il est charnel, l’homme est fait pour plus que lui-même. La faiblesse de la chair appelle la force de Dieu, sa misère la vie de la grâce, sa condition mortelle la vie éternelle. En paraphrasant Péguy, nous pourrions dire ceci : ou le spirituel est charnel en nous ou il n’est pas, ou le charnel trouve dans le spirituel son accomplissement proprement charnel ou il se perd, se dévoie et court tout droit à la mort.

Le Christ a sanctifié la chair. Il a sanctifié cette condition humaine précaire, passagère, confinée dans son étroitesse et ses limites, blessée par le péché. C’est cette chair-là qui est devenue le réceptacle de la vie éternelle. Le Verbe s’est fait chair et la chair s’est faite Verbe ; le Verbe s’imprime dans la chair et la chair exprime le Verbe. C’est dans la chair que Dieu nous communique le Christ et c’est par la chair qu’il se communique au monde. L’Eucharistie, ce n’est rien moins que cela. Mais si c’est bien cela, l’Eucharistie nous engage à faire passer le Christ dans notre vie réelle, notre vie de chair et de sang.

Manquer à la chair, c’est tout simplement manquer à la vie de Dieu en nous. Nous frémissons à l’idée que nous pourrions sérieusement nous tromper là-dessus. Et en deux directions opposées bien connues : l’angélisme ou l’abêtissement. Tous les péchés sont des péchés contre la chair en ce sens qu’ils font obstacle à cette venue de Dieu en nous et cette venue se produit toujours dans la chair. Je vous propose trois remarques pour cheminer sur ce sujet :

Aimer la chair. Entendez par là cette condition humaine concrète. Nous aimer les uns les autres dans la beauté et la pesanteur de cette chair, avec ses émotions, ses passions, sa multiplicité des caractères, ce qui plait comme ce qu’il faut supporter. Aimer la chair, oui, mais à une juste distance ou une juste proximité, pour que la chair ne fasse point obstacle au Verbe mais Lui offre au contraire l’espace requis où il pourra prendre chair.

Eprouver la chair. Ne soyons pas dupes du jeu ambigu et trouble que la chair peut toujours jouer. Car la chair est facilement mensongère, ce qu’elle montre et ce qu’elle est ne coïncident pas toujours, loin s’en faut, que ce soit dans sa version angélique ou sa version abêtissement. Il est bon à ce propos de confronter son comportement à la sagesse d’un autre. La chair a un tel art de s’aveugler sur-elle-même que c’est presque une nécessité.

Être humble dans la chair. La chair est faible et personne n’a jamais été sans faillir à son égard. Rien n’est plus préjudiciable à la chair que la présomption, la vanité, l’orgueil. Une vie de prière et de charité est le chemin le plus assuré pour que la sublime vocation de la chair puisse s’accomplir : être demeure de Dieu pour l’éternité. Car c’est bien cette chair d’humanité, c’est bien notre humanité réelle qui est appelée à passer dans la vie éternelle. Et le Credo que nous allons confesser maintenant l’affirme avec force : « je crois à la résurrection de la chair ».

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