L’actuelle église des Dominicains fut à l’origine celle d’une communauté d’Augustins, établie à Montpellier après le siège de 1622. On sait en effet que Louis XIII avait été obligé de venir s’emparer militairement de la ville, où les protestants s’étaient enfermés. Le pouvoir royal y avait aussitôt encouragé l’installation de congrégations catholiques, en vue de reprendre le contrôle d’une population alors largement gagnée par la prédication des Réformés. Les Augustins furent du nombre. On les installa sur les fondations démantelées des anciens remparts, rasés par le roi afin d’ôter aux montpelliérains toute envie nouvelle de sédition.
Bâtie en 1643, en pleine effervescence contre-réformiste, cette chapelle est donc contemporaine de ce courant de sensibilité appelé baroque qui marque la spiritualité et la culture européennes du deuxième tiers du XVII° siècle, avec les grandes églises parisiennes de François Mansart et de Lemercier, ou à Rome celles du Bernin et de Pierre de Cortone, avec leur débauche de colonnes, de marbres et de dorures. Or ici, tout contraste avec le triomphalisme qui partout ailleurs signale l’architecture du renouveau catholique de la contre-Réforme. Par sa façade lisse, son plan de halle tout simple, son ambiance sombre, ses grands pans muraux dénudés et son matériau relativement pauvre, cet édifice renoue avec les modèles méridionaux encore romans ; tandis que la manière dont s’assemblent les pilastres latéraux en faisceaux ainsi que leur forme polygonale vient de la tradition gothique. Le trait sans doute le plus remarquable de la contre-Réforme méridionale en architecture, est précisément cette fidélité aux sources régionales. Il faut se souvenir que le gothique méridional s’était élaboré sous l’impulsion dominante des ordres mendiants, au XIII° siècle, en pleine lutte contre le catharisme : de l’hérésie au schisme, l’Église locale cherche manifestement dans le langage des pierres, face à la contestation anticléricale, à exprimer la permanence de son idéal de renoncement. Entre les nombreuses églises régionales de cette époque et de ce style, toutes très dénaturées par la suite, celle-ci est l’une de celles qui témoignent le mieux de cet état d’esprit.
L’architecte de la chapelle fut Bertrand de Lasne, de Bayonne, établi à Montpellier depuis 1625, qui compte parmi les meilleurs constructeurs locaux du moment : d’autres belles réalisations gardent mémoire de son talent, comme l’hôtel de Sarret dit aussi de la Coquille, 6 rue du Palais. Il fut, sur le chantier de la chapelle, assisté de l’entrepreneur Jean Bonnassier, que l’on trouve aussi lié à nombre de créations importantes de l’architecture montpelliéraine pendant le second quart du XVII° siècle.
L’intégrité de l’ouvrage a malheureusement souffert d’une réfection un peu sèche des voûtes au XIX° siècle, puis dans les années 1950 d’un ravalement un peu trop appuyé de ses élévations intérieures. Il faut cependant remarquer le travail d’aménagement du chœur liturgique dû à l’architecte M. Bourde, auteur du dessin de l’autel majeur (1958) — déplacé en 2007 dans la première chapelle latérale de droite —, les vitraux de H. Déchanet et le Christ crucifié du sculpteur Lech Wardecki (1959). L’orgue a été récemment et intégralement refait par le facteur Alain Sals (1993). L’actuel aménagement intérieur est de Guy Guntz (1972).
Les travaux de construction du couvent proprement dit ne furent jamais menés à terme, sans doute faute de ressources : les Augustins se contentèrent pour leur logement de quelques maisons mitoyennes remembrées et sommairement redistribuées. Ils se firent cependant édifier un beau réfectoire voûté d’arêtes. L’architecte en fut Jean Giral (1679-1755), le plus remarquable constructeur montpelliérain de la première moitié du XVIII° siècle, de qui l’on peut voir, non loin de là, la chapelle des Jésuites, place Notre-Dame des Tables. C’est de son agence que sortent nombre des petits châteaux, dits folies, de la compagne montpelliéraine, tel celui des Saporta à La Mogère.
À la Révolution, la congrégation fut expulsée et l’église confisquée, en même temps que les bâtiments conventuels, pour être vendus en plusieurs lots comme biens nationaux, en 1792. L’église fut alors affectée en local utilitaire : atelier de fabrication de salpêtre, grenier à fourrage etc. La restitution de l’église à sa première destination fut l’œuvre longue et difficile d’un groupement de fidèles montpelliérains qui n’avaient pas voulu se soumettre aux décrets de la Constituante sur le serment des prêtres, et avaient organisé des célébrations clandestines des offices pendant toute la durée de la Terreur. Avec l’apaisement de la conjoncture politique, ce groupement sut se constituer en société pour racheter l’église, en 1797, et y restaurer le culte. Sous le nom d’Association des Augustins de Montpellier, elle reste toujours la propriétaire légale de l’église qui ne fait donc pas partie du réseau paroissial montpelliérain. En 1853, une communauté de Carmes déchaux vint épauler l’action de l’Association en rachetant les anciens bâtiments conventuels et en assurant le service religieux dans la chapelle. Les Dominicains s’y établissent à leur tour en 1954.