La logique du Cœur de Dieu

19 février 2023 – 7è dimanche du T.O., année A
Lv 19, 1-2.17-18 ; Ps 102 (103) ; 1 Co 3,16-23 ; Mt 5,38-48
Homélie du frère Jean-Marc Gayraud



« Ah ! que les enseignements divins sont contraires aux sentiments de la nature ! Sans le secours de la grâce, il serait impossible, non seulement de les mettre en pratique, mais encore de les comprendre. »
Cette réflexion de Thérèse de l’enfant Jésus s’applique admirablement à notre évangile. Car celui-ci relève d’une logique qui n’est pas de ce monde mais qui vient de Dieu. La clé de compréhension du comportement nouveau auquel cet évangile nous engage est à chercher dans la raison qui en est donnée : vous serez « les fils de votre Père qui est au cieux ».
Il ne s’agit donc pas de perfection simplement humaine, morale, pas même religieuse. Il s’agit encore moins de réaliser quelque exploit humain que ce soit. Il s’agit d’entrer dans la logique du cœur de Dieu, de son amour sauveur. Il s’agit de se recevoir de Lui au creux même de nos limites, nos impossibilités, notre péché. La perfection à laquelle nous invite le Père est une perfection de fils, non pas une perfection de héros de sagesse ou de vertus. Nous sommes appelés à être parfaitement fils dans le Fils du Père. Cette perfection-là a peu à voir avec nos conceptions humaines. Car ici, les insuffisances des hommes, le péché lui-même, s’ils sont ressaisis dans la grâce du Fils, peuvent servir cette perfection à laquelle le Père nous appelle.
Passer de la condition de ce monde à la condition d’enfant de Dieu n’est jamais possible que par la grâce de Dieu, la vie en Jésus, le don de l’Esprit. Les fameux : « mais moi je vous dis » de Jésus scandent cette loi nouvelle qui est celle du Christ désormais. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette loi nouvelle bouleverse tous nos jugements spontanés : « si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui; à qui veut prendre ta tunique, donne aussi ton manteau; aimez vos ennemis; si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui l’autre joue. » Retenons juste ce dernier exemple, que l’imagerie populaire comprend si mal, afin d’en souligner la stupéfiante nouveauté.
Tendre l’autre joue, ce n’est pas se faire avoir, se débiner, sombrer dans une victimisation morbide, encore moins donner raison à qui vous frappe. C’est au contraire faire face à la violence par le refus de la violence. C’est refuser d’entrer dans le cercle infernal de la violence. C’est dénoncer la puissance de destruction de la violence au nom d’une force d’aimer venue de bien plus loin et de bien plus profond que cette violence. Alors seulement la racine du jeu trompeur du mal qui veut faire de nous des complices pourra être vaincue et dépassée par ce bien qui fait de nous des frères. Dans ce refus de frapper qui vous frappe et dans ce geste de totale vulnérabilité qu’est tendre l’autre joue, la force invincible d’aimer a déjà vaincu la violence. Et c’est une condamnation inexorable de cette violence qui est prononcée ici au tribunal de l’Amour de Dieu.
Voilà donc une voie absolument nouvelle, qui ne peut être que le fruit du don de l’Amour en sa source, de la vie même de Dieu en nous. Et ceci suppose une profonde transformation de nos manières de vivre, de comprendre, de juger, d’agir. Mais soyons bien certains que c’est cette force-là, et elle seule, qui peut convertir les hommes, bouleverser les cœurs, changer le monde, l’acheminer vers le Royaume. Voilà donc un évangile qui nous presse ardemment de devenir enfant de Dieu au risque de voir les démons de l’humanité finir par la détruire.
Que par le don de cette Eucharistie, par l’impulsion secrète de l’Esprit dans nos cœurs, que s’affermisse en nous cette condition de « fils du Père des cieux » et de frère et sœur dans le Christ. Il n’est pas exagéré de dire que c’est aujourd’hui, plus que jamais, un cas d’urgence absolue.
Oui, la petite Thérèse avait bien raison : « Que les enseignements divins sont contraires aux sentiments de la nature ! Sans le secours de la grâce, il serait impossible, non seulement de les mettre en pratique, mais encore de les comprendre. »

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