Dimanche 9 janvier 2022 – Fête du Baptême du Christ
Is 40, 1-5.9-11 ; Ps 103(104) ; Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7 ; Lc 3, 15-16.21-22
Homélie du frère Arnaud Blunat
Le baptême de Jésus dans le Jourdain a profondément marqué les esprits. D’ailleurs, tous les évangiles rapportent la scène ainsi que le témoignage de Jean le Baptiste.
Que s’est-il passé en réalité ? Rien moins que la réalisation de ce qu’on attendait depuis des siècles.
« Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais », s’écriait le prophète Isaïe. Le ciel s’ouvre enfin, et l’Esprit Saint sous la forme d’une colombe descend sur Jésus.
Élie dans le désert avait perçu l’Esprit comme un souffle imperceptible, une brise légère. La force de Dieu se manifeste sur la personne de Jésus dans la plus grande douceur, dans la fragilité d’un battement d’aile.
Au Jourdain, les témoins entendent une voix au plus profond d’eux-mêmes. C’est une parole qu’ils connaissent bien. Le verset du psaume 2 leur revient en mémoire : « c’est toi mon Fils bien-aimé, en toi je trouve ma joie ».
Les premiers disciples présents reconnaissent en Jésus celui que Jean Baptiste avait annoncé. C’est bien lui, l’envoyé de Dieu qui va sauver le peuple de ses péchés. Personne n’aurait imaginé que Dieu se manifesterait ainsi du milieu des hommes. C’est bien là tout le mystère, et tout le paradoxe, qui est d’une redoutable actualité.
En effet, que représente Jésus Christ pour la plupart de nos contemporains ? Avons-nous encore besoin d’un Sauveur ? Et pour nous sauver de quoi ?
Notre Dieu aurait pu se manifester d’une manière retentissante, par un phénomène cosmique visible de tous, qui se serait imposé à tous, et tout serait réglé. Au contraire, il a choisi d’emprunter un long chemin, dans la durée, dans l’épaisseur du temps. Il est né dans notre humanité là où on ne l’attendait pas, dans un monde agité, perturbé. Mais il a suscité une attente, une soif, un désir dans le cœur de quelques-uns.
Ceux qui ont suivi Jésus ont donc entrepris un cheminement intérieur qui ne s’est jamais arrêté. A la lumière de ses enseignements, à la vue des signes qu’il accomplit, ils ont compris trois choses :
1) Le monde dans lequel nous vivons ne comble pas nos attentes les plus profondes, notre soif de vie. Il ignore Dieu et nous incite à jouir des biens immédiats qui laissent insatisfaits.
2) L’amour est le cœur de la vie humaine. Le Christ a aimé les hommes comme nul autre. Il nous a invités à aimer sans condition, sans limite, les autres comme nous-mêmes, jusqu’à aimer ceux qui ne nous aiment pas.
3) La vie éternelle est l’horizon de l’humanité. Dieu a communiqué son Esprit par Jésus, cet esprit qui nous renouvelle sans cesse pour que nous devenions héritiers de la vie éternelle.
Mais alors, qu’est-ce que Jésus nous apporte de si original qui vaille la peine de le suivre ?
Il me semble que Saint Paul nous donne une réponse intéressante lorsqu’il dit à son disciple Tite (ce que nous avons entendu en 2ème lecture) : « Jésus s’est donné pour nous afin de nous racheter de nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien ».
Un peuple ardent à faire le bien. La clé est dans cet adjectif ardent.
On entend parfois des personnes qui affirment, comme pour se justifier : oh, vous savez, je n’ai pas tué, je n’ai pas volé. Ceux qui se prévalent de leur bonne conduite s’aveuglent eux-mêmes : « n’avons-nous pas mangé et bu en ta présence ? » disent-ils à Jésus, mais lui leur répondra : allez vous-en loin de moi, vous qui faites le mal.
Ne pas faire le mal, c’est une chose. Mais il s’agit de faire le bien.
Toutefois, Jésus n’attend pas que nous soyons simplement de bons sujets qui agissent bien.
Il veut faire de nous un peuple ardent à faire le bien. C’est pour cela qu’il est venu, comme il le dit ailleurs, pour allumer un feu qui ne s’éteint pas. Ce feu, c’est l’amour que Dieu veut communiquer aux hommes.
Tout homme certes peut faire le bien. On peut bien agir pour les autres mais sans les aimer. Jésus ne fait pas seulement du bien, il manifeste son amour, l’amour qu’il puise dans sa relation avec son Père, l’amour qui le relie à lui. Cet amour vient à la rencontre de l’homme, il le touche personnellement, il le guérit, il le sauve. Voilà pourquoi il nous demande d’aimer et de nous aimer les uns les autres comme lui nous a aimés. « A ceci, on vous reconnaitra pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Jésus veut que nous ayons entre nous des liens de charité, que nous soyons brûlés par cet amour qui renouvelle la face de notre monde.
Alors on peut comprendre la souffrance que vivent tant de personnes, en voyant que leurs proches ne connaissent pas le Christ, ignorent qu’ils sont aimés de lui et vivent sans la grâce du baptême. Quand la vie humaine est ainsi, comme une rivière qui ne se remplit qu’occasionnellement, au gré des pluies saisonnières, sans être reliée à une source, sans aller jusqu’à la rencontre de l’océan, on peut en effet s’interroger sur sa signification, et sur sa pleine réalisation.
Seule la grâce que nous confère le baptême peut nous permettre d’être unis au Christ, et de découvrir de quel amour nous sommes aimés. La vie baptismale développe en nous cette vie filiale, cette communion profonde qui nous transforme.
Mais alors que deviennent ceux qui n’ont pas reçu la grâce du baptême ? Dieu a certes d’autres moyens de les rejoindre. Ils découvriront plus tard celui qu’ils ont servi sans le connaitre. Mais quant à nous, comment ne pas témoigner de la richesse de cette vie que nous donne le Christ, de cette foi qui donne une dimension essentielle à notre existence en ce monde ?
En célébrant le baptême du Christ, nous nous rappelons d’où nous venons, où nous allons, qui nous sommes. Marqués par l’Esprit qui fait de nous des fils, ayons à cœur de témoigner de notre foi, destinés que nous sommes à connaitre la plénitude de la joie dans la vie éternelle !