Dimanche 2 janvier 2022 – Solennité de l’Épiphanie
Is 60,1-6 ; Ps 71(72) ; Ep 3,2-3.5-6 ; Mt 2,1-12
Homélie du frère Joseph-Thomas Pini
Mystère et lumière. Mystère : avant tout celui même de Dieu. Au cœur de ce mystère, Dieu qui Se révèle à l’homme, pour être connu et aimé de lui, et pour qu’ainsi, transformé, il devienne de plus en plus fils du Père éternel en participant de Sa vie. Et pour achever cette révélation, Dieu, ayant inscrit en l’homme la capacité de Le connaître et l’appétit du bien et de la vérité, Se faisant connaître dans Sa création, par la parole de Ses prophètes, par le cours de Sa sagesse, S’est finalement et définitivement révélé en Son Fils bien-aimé, le Verbe éternel qui a pris chair, visage et existence d’homme en Jésus le Christ. Révélé par Sa Parole à un peuple choisi et spécialement assisté, Dieu Se veut, de toujours à toujours, pour toute créature humaine, et Israël est un dépositaire et un serviteur de la Révélation par une alliance privilégiée, non un gardien de coffre-fort ou de musée. De par le mystère même de Dieu tel que révélé en Jésus Christ, il convenait donc hautement que le Christ soit, à Son entrée dans le monde, manifesté à tout homme au-delà même du peuple de la Parole sainte qui attendait le Messie promis.
Mystère de ces hommes venus d’Orient, qui gardent leur large part d’inconnu. Combien sont-ils (notre Évangile ne parle pas de trois …) ? Prêtres de Perse ou savants de Chaldée ? Leur zèle comme leur humilité écartent au moins l’hypothèse d’enchanteurs ou de charlatans. Appuyés sur les Ecritures vétérotestamentaires et à la suite des Pères de l’Église, nous voulons voir en eux des rois, et nous comprenons l’hommage, presque vassalique, que les puissants de la terre sont appelés à rendre au Souverain véritable et à Son Règne. Nous les reconnaissons comme les « prémices des nations », de tous ceux extérieurs au peuple choisi par Dieu, mais eux aussi appelés, comme l’annonçait déjà le même Isaïe, sur qui se lève l’unique salut dans le Christ sans distinction, et qui viennent adorer le seul et vrai Dieu. Leurs présents, aussi précieux qu’inutiles à un jeune couple dans le dénuement (mais pas encore de site internet pour les revendre), dont parlaient aussi les prophéties, nous y voyons la confession du Roi des rois à qui revient l’or, de Dieu à qui est dû l’encens, et aussi, au-delà des prophéties mais déjà en annonce, du Crucifié recouvert à la hâte des premiers onguents. En réalité, l’indétermination relative sur leur qualité et leur identité suggère bien qu’ils représentent plus qu’eux-mêmes.
Car les voilà dans la lumière, et bien plus que le temps de quelques versets. La lumière enveloppant les bergers a été intense. Les bergers étaient veilleurs, et brusquement, dans la nuit de leur veille, leur est annoncée, par le concert des anges et dans une grande lumière céleste, la naissance du Christ, alors qu’ils sont tout à côté de Bethléem. Pour ces pasteurs et ces pauvres, représentants des vigilants d’Israël et des pauvres du Seigneur, c’est l’étonnement, et la réalisation des prophéties qu’ils ont reçues en partage comme bien du peuple de l’Alliance les frappe, les saisit et les entraîne à adorer et à annoncer ce qu’ils ont vu et qui est – Luc insiste à plusieurs reprises, comme au matin de la Résurrection –, conforme à ce qui avait été dit. C’est leur foi, déjà présente, qui est remplie de la lumière du Christ. Les mages, eux, sont des chercheurs. Des fils et porteurs de la sagesse que Dieu a mise au cœur des hommes de toute origine, parfois sans Se faire reconnaître, mais en Se faisant connaître ; leur quête est celle de l’esprit et du cœur humains « capables de Dieu ». Au cœur aussi de leur élan religieux, dans leur attachement au bien et au vrai, Dieu leur parle et les appelle. C’est la lumière d’une étoile, différente des autres, levée avant l’aurore, décryptée par leur intelligence nourrie de toutes les sciences, y compris celles d’un peuple habitant la Judée et proclamant qu’un Grand Roi va venir, qui est la déterminante clarté de leur volonté et les met en route. Que cet astre corresponde à un phénomène astronomique historiquement identifié est une hypothèse intéressante, qui dit déjà beaucoup du grand dessein de Dieu. Mais leur étoile est assurément le Christ même. Ces aventuriers du désir profond de l’homme ne partent ni sur un coup de tête, ni en aveugles : déjà la lumière du Christ, Lui qui est lumière pour tout homme en ce monde, éclaire et guide leur quête. Cette dernière, l’effort de leur sagesse, l’élan de leur cœur ont, sur son chemin, besoin de la confirmation des Ecritures et de la Révélation, qu’ils viennent opportunément, justement et humblement, innocemment aussi, recueillir au pays où doit naître le Grand Roi. Mais au terme, alors que la lumière, un temps cachée, ne les abandonne pas, une joie immense les accueille, et ils ne semblent ni étonnés ni arrêtés par le spectacle déroutant se présentant à eux, convaincus de voir Celui qu’ils désiraient et qui porte un nom et Le reconnaissant pour Seigneur. Leur quête et leur marche, venues de Dieu et tournées vers Dieu, ont reçu de Dieu leur récompense. Tel est le désir de Dieu. Car il y a aussi le désir de l’homme qui n’est pas tourné vers Dieu, mais fait de ses biens son objet et la force dévorante. Si Jérusalem frémit, peut-être en annonce de l’entrée triomphale du Christ en ses murs avant la Passion, Hérode, lui, tremble : voici que son désir est inquiété, contesté, menacé ; et, aveuglé par ce dernier au point de perdre le fil des Ecritures, il réagit jusqu’au terrible homicide et au sacrifice de toute promesse de vie.
Chargés de présents, les mages sont repartis par un chemin nouveau, riches d’un superbe cadeau : la confirmation que le mystère est lumière, et qu’au cœur du mystère, rayonne la lumière qui désormais les illumine. Un cadeau pour tout homme. Au moment des résolutions de début d’année, que l’on dit « bonnes » et dont il faut toujours souhaiter qu’elles ne le soient pas comme un bon vin, gardé en réserve et sorti en quelques occasions, nous pouvons peut-être, instruits par ces éclaireurs que sont pour nous les mages comme les bergers, en prendre deux. La première : le plus souvent possible, et le mieux possible, mettre le Christ, Lui laisser Sa place, au sommet et au cœur de nos désirs en laissant Son Esprit les purifier. La deuxième : dire aux hommes et aux femmes, si nombreux à chercher à tâtons, à espérer aveuglément ou à avoir cessé d’espérer, à être saisis de tristesse, d’angoisse, de dépit, d’indifférence devant une attente profonde sans réponse, que le Christ Sauveur est là : Lui la consolation et la satisfaction, la source, la ligne et l’horizon du désir de l’homme, Lui la joie dès maintenant possible et toujours vraie.