9 juin 2024 – 10e dimanche du T.O., année B
Gn 3,9-15 ; Ps 129 (130) ; 2 Co 4,13 – 5,1 ; Mc 3,20-35
Homélie du frère Réginald Baconin
Aurions-nous là un embryon de liste de personnes dont nous pourrions nous dire avec certitude « ceux-là sont damnés à coup sûr, ils sont en enfer sans aucun doute possible » ? Si l’on suit l’enchaînement du récit, c’est un peu vers cette conclusion que l’on semble tendre, à savoir que les scribes qui prirent à partie Jésus dépassèrent tellement les bornes par leur attitude et leurs calomnies que c’est fini pour eux, plus aucune rémission possible. En ayant accusé Jésus d’être possédé par un esprit impur, ils se sont rendus coupables d’un péché tel que Jésus le qualifie de « faute éternelle » (Mc 3, 29) pour laquelle il n’y a pas de pardon possible. L’avertissement de Jésus à la fin d’ailleurs s’adresse à eux en premier lieu : « Si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon, il est coupable d’un péché pour toujours », et l’évangéliste de préciser pour lever toute ambiguïté vis-à-vis de qui s’adresse cette parole : « Jésus parla ainsi parce qu’ils avaient dit : Il est possédé par un esprit impur » (Mc 3, 29-30).
Alors sont-ils en enfer ou pas ? La vérité c’est qu’on n’en sait rien. Revenons à ce que dit Jésus, et par conséquent, sur ce qu’il nous enseigne de ce fameux « péché contre l’Esprit ». Ce que Jésus nous indique en premier lieu, c’est qu’il y a un péché dont la matière est d’une gravité telle qu’elle peut effectivement, associée avec une intention ferme, couper l’homme définitivement de Dieu, et même de sa miséricorde ! C’est là où il faut bien se garder d’envisager les choses de façon trop mécanique, parce que lorsque les scribes vont insulter Jésus en lui disant « c’est par le prince des démons qu’il expulse les démons » (Mc 3, 22), nous ne connaissons en aucun cas l’intention profonde de leur cœur, chose que Dieu seul peut savoir. On peut très bien supposer, dans une interprétation bienveillante à leur égard, qu’ils ont invectivé Jésus pour « se le payer », et ainsi ils pourraient prendre conscience de la malice de leur acte et entrer dans une démarche de pénitence et de conversion face à la faute commise dont peut-être ils n’ont pas mesuré l’ampleur sur ce moment, un peu comme Saint Paul qui dit : « s’ils avaient connu [la sagesse de Dieu] (…) ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire » (1 Co 2,8). Mais là aussi, attention : nous sommes dans la pure spéculation et rien ne nous oblige à retenir cette interprétation qui est purement gratuite, parce que, encore une fois, nous ne connaissons pas et nous ne pouvons en aucun cas connaître ce qui se passe dans le cœur de l’homme. En tant que scribes, de par leur connaissance de la Parole de Dieu supérieure aux autres, ils auraient très bien pu être conscients de la gravité de leur propos ! Mais ne perdons pas de temps dans des spéculations inutiles. Qu’ils connaissent ou pas l’ampleur de leurs propos blasphématoires vis-à-vis du Christ, ce n’est pas là le principal, ce vers quoi nous mène Jésus, c’est plutôt à la question de comment nous connaissons-nous pécheurs ? Et qu’en faisons-nous de cette connaissance ? Et c’est là qu’intervient le Saint Esprit. Car la connaissance de notre péché n’est pas le fruit d’un exercice d’introspection psychologique, mais une illumination justement du Saint Esprit : « Si je pars, je vous enverrai [le Paraclet], il confondra le monde en matière de péché, en matière de justice et en matière de jugement » (Jn 16, 7-8), mais le rôle du Saint Esprit est aussi de nous faire rentrer dans la communion avec Dieu, il est le don par excellence du Père et du Fils que le Christ nous envoie pour accomplir l’œuvre de notre sanctification.
Jésus nous indique que blasphémer contre l’Esprit Saint est une matière à péché particulièrement grave car elle exprime, lorsque l’intention claire y est, plus qu’un refus, un rejet positif de Dieu dans son œuvre de sanctification. C’est suivre le chemin du diable qui avait dit à Adam et Eve « vous serez comme des dieux », mais sans le vrai Dieu. Tout péché abîme l’homme, l’avilit, et offense Dieu, à des degrés différents, mais Jésus nous montre à travers une altercation avec ce groupe de scribes, qui de notre point de vue subjectif peut sembler anodine, qu’il y a un péché qui conduit à une séparation avec Dieu. Cette séparation est de la part de l’homme, puisque c’est par un mouvement de sa volonté, qui dans ce cas n’est plus soutenue par la grâce de Dieu, de se séparer radicalement de son Créateur et Sauveur.
Jésus nous indique par là que la miséricorde de Dieu n’est pas un dû, ni quelque chose d’automatique, « ah oui, je m’en fiche Dieu me pardonnera », elle est à implorer quotidiennement pour les manquements à son amour petits et grands, de peur que notre cœur s’habitue à mépriser Dieu et se détourne définitivement de lui par un acte de rejet formel.
Comme le dit Saint Paul aux Galates : « Ne vous y trompez pas ; on ne se moque pas de Dieu car ce que l’on sème, on le récolte » (Ga 6, 7). AMEN.