16 avril 2023 – 2è dimanche de Pâques, année A
Ac 2, 42-47 ; Ps 117 (118) ; 1 P 1, 3-9 ; Jn 20, 19-31
Homélie du frère Jorel François
À toutes nos eucharisties solennelles et à des moments particuliers, nous le rappelons et le confessons avec les mots même du Credo : pour nous les hommes et pour notre salut, le Fils unique de Dieu descendit du ciel et s’est fait homme. Crucifié sous Ponce Pilate, mort et mis au tombeau, il ressuscita le troisième jour conformément aux Écritures…
Chaque eucharistie fait mémoire de la passion et de la résurrection du Seigneur qui, trahi par les siens, est lâchement arrêté, traîné devant les tribunaux pour subir un jugement inique. Tel un bandit, il est condamné et pendu à la croix; supplice alors réservé aux agitateurs dangereux, aux fauteurs de trouble. Mort, et enterré dans la précipitation en raison de la Pâque juive, on l’a compté avec les malfaiteurs.
C’était le prix à payer pour être descendu du ciel et être venu marcher sur nos chemins. Homme parmi les hommes, il a vécu le quotidien des hommes : le monde comme il va. Il n’a pas été épargné par la violence et l’injustice des hommes.
Bien fait pour le Maître de la Vigne qui se disait : je vais leur envoyer mon Fils Bien-Aimé, ils le respecteront (Mc 12, 6).
Le Maître de la Vigne n’avait qu’à mieux réfléchir, mieux connaître ces vignerons homicides, et mieux savoir comment s’y prendre avec eux…!
Mais pour l’heure, nous sommes au premier jour de la semaine. Des femmes visitent le tombeau pour achever le rituel des funérailles. Et coup de théâtre : la pierre qui scellait ce tombeau bien gardé a été roulée, et le tombeau est retrouvé vide. Et des anges expliquent et rappellent ce que ces femmes, disciples de Jésus, devaient pourtant savoir, puisque cela avait été déjà annoncé. Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour rentrer dans sa gloire…?
Mais les disciples comme les apôtres ont les oreilles dures et la mémoire courte… Ils sont lents à croire les Écritures.
La journée était déjà bien avancée. Les apôtres sont barricadés derrière des portes par peur des ennemis de Jésus. Ils y sont aussi pour raison d’abattement, de désespoir, mais peut-être aussi parce qu’ils sont travaillés par la culpabilité pour avoir été si lâches, si infidèles, pour n’avoir pas été au rendez-vous alors qu’ils prétendaient pouvoir donner leur vie pour Jésus…
Comment continuer de marcher parmi les hommes, oser avoir la tête haute, comment continuer d’ouvrir la bouche quand il est clair que le programme que l’on avait annoncé n’a pas fonctionné, que le projet a échoué…
La croix est un échec. Avec elle, le mal a manifestement triomphé du bien. Le règne de Dieu ne s’est pas établi. Et les disciples de Jésus n’ont pas eu le courage de faire face. Comme des lièvres, ils ont détalé. Et les voilà cachés pour ressasser l’échec, ruminer leur peur, et réfléchir sur leur trahison…
Mais voilà-t-il pas que tout à coup, dans leur réclusion, ils réalisent que Jésus était au milieu d’eux. Oui, celui qui était mort, que l’on croyait avoir échoué, est vivant. Plus encore, il ne les traite pas selon leurs péchés, il leur tend la main, leur refait des gestes qu’il avait déjà faits, leur redit des paroles qu’il avait déjà dites. Il les invite à se relever et se ressaisir, et partir continuer le travail de l’évangélisation.
Le matin de Pâques s’ouvre sur un tombeau vide, une nouvelle création, un nouveau départ. Le corps de Jésus n’est plus prisonnier du tombeau. Certes, son corps porte encore les marques de la passion, mais c’est d’un corps de gloire qu’il s’agit. Un corps désormais non sujet à la souffrance et la mort. Un corps pour l’éternité.
Présent avec nous jusqu’à la fin du monde, Jésus est vivant dans la communauté. Son esprit est au milieu de nous, il nous console, nous pardonne et nous fortifie.
Aussi les Apôtres, qui n’ont pas rêvé, se constatent-ils en paix. Désormais, ils jouissent de cette paix que ne peut donner le monde, qui ne peut venir que de l’Esprit du Christ. La paix du royaume en croissance dans l’histoire, pour que Jésus soit à jamais tout en tous.
Les apôtres se réjouissent de la confiance retrouvée grâce au pardon reçu en Jésus qui invitait à pardonner soixante-dix-sept fois sept fois, c’est-à-dire sans cesse… Du haut de la croix n’avait-il pas pardonné aux bourreaux et sans doute à tous ceux qui ont collaboré et rendu possible cette condamnation ignominieuse? Et pourquoi ne pardonnerait-il pas à ses amis, qui ont été faibles, infidèles et lâches?
Aucun péché n’est trop grand pour la miséricorde de Dieu – à moins que le pécheur se ferme à cette miséricorde.
Quand l’amour n’est pas aimé ou quand il est trahi, seul le pardon peut recoller les morceaux, panser les blessures et apaiser les cœurs. Quand la parole donnée est bafouée, seule la miséricorde peut permettre de renaître, dans une certaine confiance, et rendre possible un nouveau départ… Autrement, c’est la mise en accusation, les reproches incessants, le règne de la loi du talion, le cercle infernal de la violence ou celui de l’enfermement dans la culpabilité, l’abattement et le désespoir…
C’est peut-être, entre autres choses, ce qu’a compris Thomas, en décalé par rapport aux autres apôtres. Thomas l’a compris et l’a vécu dans sa chair comme chacun de nous peut aussi l’avoir vécu.
La miséricorde desserre l’étau, affranchit du cercle de la vengeance. La miséricorde allège le fardeau de la culpabilité, soulage les cœurs, transforme en joyeux missionnaires de la bonne nouvelle.