« Le Royaume de Dieu vous sera enlevé »

8 octobre 2023 – 27è dimanche du T.O., année A
Is 5,1-7 ; Ps 79 (80) ; Ph 4,6-9 ; Mt 21, 33-43
Homélie du frère Réginald Baconin



Soyons honnêtes, nous n’avons pas l’habitude d’entendre Jésus parler de la sorte : « Le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits » (Mt 21, 43). Ce jugement tranché, définitif semble en effet contraster avec l’image de miséricorde que nous avons de Jésus Christ. Avec cette chute de la parabole des vignerons homicides on dirait qu’il n’y a plus de deuxième chance possible, que l’on peut atteindre dans notre vie, dans notre relation à Dieu un point de non-retour, perspective qui peut légitimement nous inquiéter.

Qu’est-ce que Jésus veut nous dire ? Si l’on regarde le contexte immédiat, il est assez évident : il pointe du doigt l’infidélité des juifs qui l’auront rejeté dans sa qualité de messie et Fils de Dieu à travers une image prophétique de sa passion. En soi, cette parabole est à la fois une annonce et une clef de lecture de la Pâque du Christ, mais sous un rapport particulier qui cette fois ne se limite pas aux juifs, mais qui nous concerne tous directement, puisqu’elle conduit à interroger notre propre foi au Christ, dans sa divinité, dans sa messianité.

Que reproche Jésus aux pharisiens, aux juifs qui le rejetaient ? C’est qu’héritiers et dépositaires du trésor de la révélation, gardiens en quelque sorte de la vigne du Seigneur, vivant ainsi dans un rapport privilégié, unique avec Dieu, comme aucun autre peuple, ils ont négligé cet héritage. Au lieu d’en vivre, ils en ont joui de façon illégitime, sous leur garde, comme il le fait comprendre, cette vigne n’a pas produit les fruits escomptés : « Le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits ». Souvenez-vous de la mission de Paul et Barnabé à Antioche de Pisidie, lorsque leur prédication du Christ à la synagogue trouve une réception hostile, ils leur diront ceci, dans le même esprit de ce que Jésus lui-même rétorqua aux pharisiens dans l’Evangile : « C’était à vous d’abord qu’il fallait annoncer la parole de Dieu. Puisque vous la repoussez et que vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! Nous nous tournons vers les païens. Car ainsi nous l’a ordonné le Seigneur : « Je t’ai établi lumière des nations pour que tu portes le salut jusqu’aux extrémités de la terre » » (Ac 13, 46-47). Ce que nous dit ici Jésus, et Paul à sa suite, c’est que ce n’est pas tant la foi et la révélation en elles-mêmes qui nous rendent supérieurs, comme leurs détracteurs le croyaient, mais c’est ce qu’on en fait, c’est la façon dont on en vit, c’est en d’autres termes, notre propre fidélité à la révélation et la foi reçue comme don immérité que Dieu nous fait. La Parole de Dieu est une parole de vie, une parole de salut qui nous unit à Dieu. Si elle est juste un livre qui prend la poussière à quoi sert-elle ? Et même, on pourrait l’avoir étudiée des années, comme les pharisiens, accumuler les diplômes, les doctorats, si d’abord on n’en vit pas, on ne vaut pas mieux que ces pharisiens que nous nous plaisons à critiquer.

Vivre de la révélation, c’est d’abord la recevoir comme révélation, comme parole de Dieu et non simple parole humaine, comme une parole active : la parole de Dieu porte toujours la vie, c’est à elle de nous transformer, c’est à la suite du Christ que nous cheminons dans cette grande aventure qu’est notre vie. C’est lui qui illumine nos ténèbres, et nous conduit au Royaume du Père, nous arrachant au pouvoir des ténèbres de notre péché.

Le problème des pharisiens que Jésus dénonce est finalement un risque qui nous guette tous. C’est de se dire « maintenant c’est bon, j’ai l’Evangile, j’ai la révélation, je crois au Christ, je crois qu’il est Dieu etc… » mais d’en tirer orgueil et, alors qu’on est au seuil de l’aventure de la foi, refuser de se laisser transformer intérieurement par elle, refuser finalement l’œuvre même de Dieu. Ne soyons pas des chrétiens superficiels ! Si nous croyons en l’Evangile, qu’il devienne le principe directeur de notre vie, de nos décisions: c’est ainsi que nous sommes fidèles à la révélation reçue, c’est ainsi que nous la laissons agir, c’est ainsi qu’elle nous convertit. C’est cela que la Bonne Nouvelle du Christ doit être pour nous, la pierre de faîte de l’édifice de notre vie, et non un bibelot spirituel ou un talisman. Ce n’est pas pour cela que Dieu nous en a fait le don ! Si c’est ainsi que nous traitons le don de Dieu, alors oui, nous y sommes infidèles, et le Royaume de Dieu mérite de nous être retiré. Et si le Christ emploie des paroles si fortes, c’est justement pour nous interpeller, nous secouer, nous pousser à la conversion, nous poser en nous-mêmes cette question : « qu’est-ce que j’ai fait du don de Dieu, du don de la foi et de l’Evangile » ? Que l’Evangile soit notre pain quotidien, que sa lumière brille toujours sur le chemin de notre vie.

AMEN

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