15 octobre 2023 – 28è dimanche du T.O., année A
Is 25,6-10a ; Ps 22 (23) ; Ph 4,12-14.19-20 ; Mt 22,1-14
Homélie du frère Silvère Ametonou
Chers frères et sœurs, dans presque toutes les cultures du monde, partager un repas ensemble, organiser un repas, est chargé de sens riches et très variés. Le repas a des fonctions sociales inouïes. D’ailleurs, sociologiquement, on entre dans une culture par la langue et le repas. Nous savons tous ce que c’est qu’organiser un repas, inviter à un repas. Nous savons aussi pourquoi nous invitons telle et telle personnes, et non pas telle et telle autre. Le repas rapproche les personnes, crée des liens d’amitié et de fraternité, et les renforce. Même dans la plupart des religions, révélées ou non, le repas a souvent une valeur symbolique très forte. Il peut être dans certaines religions et traditions, un espace de communion entre les vivants et les morts, entre les humains et les entités divines.
Dans la Bible, la célébration eschatologique du salut que Dieu donne à l’humanité a été souvent décrite par les auteurs sacrés à travers la symbolique d’un festin somptueux, préparé avec un soin rare, tant l’amour et la considération que Dieu donne aux invités est sublime. C’est ce que le prophète Isaïe et saint Matthieu nous illustrent dans leurs extraits que nous méditons en ce jour.
À partir de la parabole que Jésus nous propose aujourd’hui, je voudrais faire juste quelques observations. Premièrement, le banquet auquel les invités sont conviés, c’est la célébration des noces du fils d’un roi. Après avoir utilisé sans succès tous les moyens nécessaires pour sauver l’homme déchu par le péché et condamné à la mort, Dieu a décidé d’envoyer son propre Fils. Pour accomplir l’œuvre de notre salut et sauver notre humanité d’une manière efficace, le Fils s’est incarné pour épouser notre humanité fragile afin d’élever l’homme pour qu’il puisse participer à la vie de Dieu à laquelle il est originellement destiné.
Pour relever et élever notre humanité pauvre et fragile, le Christ nous a tout donné. Comme le dit l’épître aux Philippiens que nous chantons les samedis soir, le Christ Jésus s’est dépouillé de tous ses privilèges divins pour faire l’expérience de notre humanité, jusque dans ses abimes les plus horribles, lui qui a dit : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).
La deuxième observation c’est que, dans la prophétie d’Isaïe, on perçoit bien l’universalité du salut. C’est bien à tous les peuples que le Seigneur donne le salut. Mais la lecture de la prophétie d’Isaïe à côté de la parabole de Jésus, laisse apparaître un certain contraste. Le salut semble être donné d’abord à un peuple, Israël, et parce qu’il ne l’a pas accueilli, il lui a été enlevé et donné à d’autres. En réalité, cet apparent contraste ne remet pas en cause l’universalité du salut. Dieu n’a pas enlevé le royaume aux juifs pour le donner à d’autres puisque les évangiles nous montrent bien que, déjà, dans le ministère public de Jésus, il y avait beaucoup de juifs, même des pharisiens, qui ont adhéré à sa personne et à son message.
En faisant une certaine herméneutique de la Loi et des prophètes, on pourrait dire que dans le projet de Dieu, le salut devrait atteindre tous les peuples et tous les hommes à partir d’Israël par l’effet de la vérité selon laquelle le bien se diffuse de soi. Israël devrait trouver son bonheur en observant la volonté et les préceptes du Seigneur. Et en le voyant heureux, les autres peuples, en cherchant à comprendre la source de ce bonheur, devrait se rendre compte que ce bonheur lui vient de sa fidélité aux préceptes du Seigneur. Comme peuple modèle, mandaté pour cette mission, Israël semble passé à côté. Mais pas tous les juifs pris individuellement.
Le Christ, Fils de Dieu, en épousant notre humanité fragile, nous a montré comment répondre à l’appel de Dieu, vivre selon le cœur de Dieu en faisant de sa volonté la nourriture qui nous procure le vrai bonheur. Par le baptême qui nous configure au Christ, nous avons reçu la grâce pour entrer dans le salut qu’il a acquis pour nous.
Ainsi, grâce au baptême qui nous lie au Christ mais aussi à tous ceux qui ont reçu le même baptême que nous, un nouveau peuple est constitué pour, non seulement vivre le salut que le Christ a acquis pour nous, mais aussi l’annoncer aux hommes et aux femmes de tous les temps, de toutes nations, de toutes les conditions. Le salut que le Christ nous a apporté est un salut inclusif auquel tous et chacun sont appelés. On l’accueille et on le vit en adhérant au Christ et à son message par le baptême. Même ceux qui n’ont jamais entendu la Bonne Nouvelle du Christ, qui n’ont pas été instruits par l’Évangile, mais comme le dit le Concile Vatican II, suivent leur conscience droite, sont aussi accueillis au banquet du salut.
La dernière observation que je voudrais faire, c’est que, si l’on considérait l’Église comme le nouveau peuple modèle, appelé pour assumer la mission autrefois confiée à Israël, c’est-à-dire attirer au salut par notre vie de foi dans le Christ en suivant le principe selon lequel : le bien se diffuse de soi, il est fort probable que la dialectique conduise au même constat fait avec le judaïsme. Il serait donc difficile de dire que Dieu a écarté les juifs du royaume au profit des chrétiens. Selon un raisonnement séduisant de saint Paul dans le chapitre 11e de l’épître aux Romains, qu’on soit juif ou païen, tous ont quelque chose à se reprocher. « Dieu, en effet, nous dit saint Paul, a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous les hommes » (Rm 11,32).
L’universalité du salut annoncée par les prophètes, notamment Isaïe, devient concrète, plénière et parfaite par l’événement Jésus-Christ. « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32) nous dit Jésus. Son sang versé acquiert le salut pour tous les hommes sans exception : juifs, païens, chrétiens, esclaves ou hommes libres… Mais pour entrer dans ce salut, une seule condition est posée : avoir foi en Jésus, adhérer à sa personne et à son message. Même s’il arrivait que l’on n’ait jamais entendu parler de Jésus, le banquet du salut est offert lorsque l’on vit en suivant sa conscience droite, là où Dieu nous parle au plus secret de notre cœur : fais le bien, évite le mal. Bref, la seule condition pour bénéficier pleinement du banquet du salut, c’est revêtir l’habit de noce qui est le Christ lui-même. C’est-à-dire vivre de sa vie qui est l’amour, la charité. Au soir de notre vie, c’est sur l’amour que nous serons jugés.