L’expérience de la miséricorde

24 avril 2022
Deuxième dimanche de Pâques, année C
Ac 5,12-16 ; Ps 117 (118) ; Ap 1,9…19 ; Jn 20,19-31
Homélie du frère Arnaud Blunat



Thomas reconnaît Jésus ressuscité – Enluminure du Psautier de Saint-Alban, v. 1125-1130 – Bibliothèque de la cathédrale Sainte-Marie de Hildesheim, Allemagne (source: Wikimedia Commons)

C’est assurément un coup de maître ! Vous avez vu comment Jésus arrive à faire passer ses apôtres de la peur à la joie, de la crainte à la confiance. Une simple salutation : la paix soit avec vous ! et la présentation de ses mains et son côté. Jésus ne s’arrête pas là. Il veut envoyer ses apôtres témoigner que Dieu fait miséricorde aux hommes. Pour cela, il leur communique son souffle, l’Esprit Saint, afin qu’ils puissent remettre les péchés.

Dans la bouche de Jésus, comme dans son attitude, aucune intention de revanche, aucune allusion à ce qui s’est passé auparavant. Jésus n’est ni dans la colère, ni dans le ressentiment. Son attitude reflète la paix, le pardon, la miséricorde du Père. Ses propos soulignent le pouvoir qu’il donne à ses apôtres : celui de remettre ou de ne pas remettre, de pardonner, de délier les péchés. Comment ne pas être interrogé par ce pouvoir qu’il leur donne ? Et comment comprendre la phrase : à qui vous maintiendrez ses péchés, ils leur seront maintenus ?

Nous sommes tellement habitués à concevoir le pardon de Dieu comme inconditionnel que nous ressentons comme une gêne en entendant ces propos. Cela nous renvoie aussi à des époques antérieures où l’Église exerçait un pouvoir sur les consciences, prononçait des excommunications à l’encontre de personnes qui s’opposaient à ses règles, à ses décisions.

Dans un autre passage de l’évangile, il est dit que tous les péchés seront pardonnés sauf le péché contre l’Esprit. Alors comment comprendre que des péchés puissent être maintenus ?

Et bien, il faut sans doute se situer du côté du pécheur plutôt que du côté des ministres de l’Église. Toute personne qui vient confesser et reconnaître ses péchés se doit de faire cette démarche dans une totale sincérité et une véritable humilité. Et ce qui lui est demandé, c’est non seulement de renoncer à son péché, mais aussi de prendre la ferme résolution de ne plus pécher. Or trop souvent nous nous disons : de toute façon je sais que je vais recommencer, alors à quoi bon me confesser ? Autrement dit, c’est perdu d’avance.

La question n’est pas tant celle du pouvoir que du vouloir. Est-ce que je peux ne pas pécher ? cela semble difficile… Mais est-ce que je veux ne plus pécher ? Ma volonté seule demeure insuffisante si elle ne s’appuie pas sur la confiance que je dois mettre en Dieu, sur son aide et sa force, autrement dit sur sa grâce.

Les apôtres et tous ceux qui vont leur succéder, reçoivent certes une mission bien redoutable, en offrant la grâce à ceux qui voudront bien l’accueillir, et en la retenant à ceux qui refusent de l’accueillir. En effet, ils ne peuvent forcer qui que ce soit à la recevoir. La miséricorde de Dieu se présente ainsi comme un don gratuit, comme cet amour que Dieu veut communiquer et répandre, mais qui suppose un accueil libre, sincère, et reconnaissant.

Finalement, c’est Thomas qui va faire l’expérience de cette miséricorde.

Avec son caractère bien affermi, autant que celui de Pierre, un apôtre que nous connaissons bien, il commence par affirmer qu’il ne croira ce que disent ses compagnons qu’en constatant par lui-même. Or huit jours après, Jésus vient à nouveau et s’adresse à Thomas. En lui proposant de s’approcher pour toucher ses plaies et constater que c’est donc bien lui, il accède à la demande de Thomas. La miséricorde de Dieu s’exprime de cette façon : Dieu vient au devant de nous, il se fait proche de nous qui sommes faibles, hésitants, qui ne sommes pas capables de recevoir ce que Dieu veut nous donner. Mais c’est alors que se produit quelque chose d’inattendu : la réaction de Thomas dépasse ce que lui-même espérait. Lui qui ne voulait que constater, voir par lui-même, est saisi intérieurement par cette lumière de la grâce qui le fait s’écrier : mon Seigneur et mon Dieu !

La prévenance de Jésus permet à Thomas de faire le saut de la foi. Mais Jésus souligne l’importance de la médiation des témoins dans l’acte de croire. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Ce qui sous entend : heureux ceux qui croient la parole de ceux qui ont eux-mêmes cru ceux qui ont cru.

Oui, puissions-nous dire : Je crois Seigneur, parce que ce que tu as dit, d’autres l’ont transmis. Et je crois donc à la force et l’efficacité de ta parole ainsi confiée, et transmise par ceux que tu as choisis. Comme Thomas, je crois, parce que je me laisse déborder par ton amour qui vient me saisir, et me fait dépasser ma fierté et mon orgueil.

Voilà, frères et sœurs, comment Jésus a voulu manifester sa miséricorde. Face à l’impétueux Thomas qui, avant la passion, était prêt à mourir avec Jésus ou bien qui avait déclaré à Jésus : nous ne savons même pas où tu vas, Jésus répond en donnant sa paix et en se présentant tel qu’il est.

Nous sommes trop souvent comme Thomas : avec nos affirmations péremptoires, ou bien nos doutes, nos hésitations, nos illusions et nos déceptions, nos moments de confiance, nos moments d’abattement, nos humeurs changeantes, oscillant de l’enthousiasme au découragement, nous passons trop souvent à côté de la grâce que Dieu veut nous donner.

Sachons revenir vers le Seigneur, revenons à la source de la miséricorde, en nous reconnaissant bien pauvres, et bien incapables de nous sauver par nous-mêmes. Ne restons pas enfermés dans une attitude quelque peu orgueilleuse et parfois un peu présomptueuse. Nous ferons alors l’expérience de la joie et de la paix profonde que Jésus seul peut donner. Après avoir essayé de nous convertir durant le temps du carême, nous voici ainsi au commencement d’un chemin pascal pour retrouver la vraie joie des Béatitudes : heureux les miséricordieux, il leur sera fait miséricorde ! Heureux ceux qui ont un cœur de pauvre, le royaume des cieux est à eux !

2 commentaires à propos de “L’expérience de la miséricorde”

  1. Cher frère Arnaud !

    Merci pour votre partage. Je reprends les derniers mots à propos de la « joie et de la paix profonde que seul Jésus peut donner » qui font écho en moi.

    Dans la Joie pascale, il y a cette traversée des pleurs qui ne sont pas nécessairement de l’ordre de la souffrance, et cela me fait penser à ce passage de la « Nuit de feu » de Blaise Pascal, cette fameuse nuit du 23 novembre 1654 où il fut visité par la grâce divine et où il s’exclame : « Joie, joie, joie, pleurs de joie » (Pensées, fragment 711, Folio)! C’est la « preuve » tangible de la Miséricorde divine ! Amicalement, Philippe de Sète

    • merci pour votre commentaire et la citation de Blaise Pascal, qui témoigne de la profondeur de son expérience intérieure. Bonne route avec le Christ ressuscité ! frère Arnaud

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