L’un et l’autre sacerdoce

20 octobre 2024 – 29e dimanche du T.O., année B
Is 53, 10-11 ; Ps 32 (33) ; He 4, 14-16 ; Mc 10, 35-45
Homélie du frère Marie-Philippe Roussel



Nous allons parler du sacerdoce. Si dans le dessin animé le Roi Lion, « Hakuna Matata » est une phrase magnifique, sur nos lèvres, « sacerdoce » est un mot bien compliqué. Il nous faut pourtant l’aborder pour trois raisons toutes simples.

La première est que la liturgie qui nous amène au Christ Roi ne cesse pas de nous rappeler les exigences pour le suivre. Comme le jeune homme riche à qui Jésus demande de donner tous ses biens, comme les mariés appelés à rester fidèles et à résister à l’adultère, comme les apôtres à qui il demande non seulement de transmettre sa Parole par leurs mots mais aussi par leur vie sous peine de scandale sur terre et de la géhenne de feu pour l’éternité. Au fond, la liturgie nous indique le chemin pour devenir saints, en participant, ce sont les mots du baptême, à la dignité de prophète, de roi et de prêtre du Christ Jésus. Et aujourd’hui et cela se poursuivra quelque peu, nous découvrons qu’il nous faudra, comme Jacques et Jean, pour accéder à la gloire, passer par l’offrande de notre vie.

La seconde raison est que ce mot est inconnu pour le monde qui ignore Dieu. Sacerdoce au pire, cela veut dire prêtre. Et prêtre, au pire signifie pédophile, au mieux, un hypocrite avide de pouvoir. Dans ma jeunesse, répondant à la question de mon avenir et disant que je voulais devenir prêtre, j’ai reçu cette réaction ironique : ah bon, tu aimes les petits enfants ? J’avais douze ans. Vous imaginez la tête de mon père lorsque je l’ai prié de m’éclairer sur cette phrase.

La troisième raison est que ce mot est aussi bien confus pour nombre d’entre nous. Car parler du sacerdoce, ce n’est pas parler de moi ou des prêtres. C’est d’abord parler de Jésus et c’est parler de vous.

C’est parler de Jésus. Car Un seul résume l’essence du sacerdoce, parfaitement, éternellement : Jésus notre Sauveur. Jésus est le Grand Prêtre de l’humanité toute entière. Qui dit prêtre dit Jésus pour nous. Immédiatement. Or, ce n’est pas évident sur deux points.

1er point : Ce n’est pas évident car le mot « sacerdos » désigne celui qui, autrefois, dans le culte, transmettait quelque chose de Dieu aux hommes, une chose sacrée, comme sa loi, et donne à Dieu les choses des hommes, leurs prières et parfois même leurs animaux, devenant consacrés, mis à part. Bref, un sens très ritualiste auquel Jésus ne semble pas être le plus attaché, contrairement aux pharisiens. Bien sûr, le culte juif s’oriente peu à peu vers le culte intérieur, des exigences de la foi, qui doivent être l’âme des rites. C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice, s’écrie Osée. Jésus poursuivra en ce sens : Ce n’est pas celui qui dit « Seigneur, Seigneur » qui entrera dans le Royaume de mon Père mais celui qui fait sa volonté. Ce premier point indique que le sacerdoce dit une offrande de ce qu’il y a de plus intime, de tout l’être. Pour Jésus, elle se vit dans l’obéissance au Père et dans un amour infini pour nous. Cet amour donne le prix de sa croix, de sa passion, de ce sacrifice de réparation où il nous prend nos fautes comme l’annonçait Isaïe. Toute la vie de Jésus est sacerdotale, offrande. Et c’est parce qu’il s’est Incarné que cette offrande s’est manifestée jusqu’au scandale de la croix et c’est parce que nous sommes des êtres incarnés qu’Il a voulu instituer des rites, porteurs, pour la première fois dans l’histoire, d’une vertu divine par eux-mêmes et que nous appelons sacrement.

2e point : nous avons du mal à parler de Jésus comme grand-prêtre. Comme prophète, cela est facile : tout le monde le désigne comme un prophète, voire un prophète ressuscité, « puissant en actes et paroles devant Dieu et les hommes » comme diront les deux disciples d’Emmaüs. Comme roi également, le peuple rassasié des pains a voulu le couronner. N’est-ce pas l’accusation formulée par Anne et Caïphe, qui fut l’objet de l’interrogation de Pilate et de son présumé crime qui l’amena à être crucifié comme « roi des juifs » ? Mais prêtre ? En dehors du moment où il s’applique le début du psaume 109 « le Seigneur dit : siège à ma droite » qui contient par la suite : « tu es prêtre à jamais ». En fait, Jésus a manifesté plus particulièrement sa qualité de prophète durant sa vie publique, sa qualité de roi durant sa Passion et sa Résurrection et sa qualité de prêtre à l’Ascension, traversant les Cieux, où son dernier geste qui se poursuit dans l’éternité est de bénir ses apôtres, de nous bénir. Et depuis, il ne cesse de continuer son œuvre, de s’offrir pour nous, de présenter l’humanité à son Père, d’intercéder pour nous. C’est le prêtre qu’il nous fallait, vrai Dieu pour donner Dieu à l’homme, vrai homme pour donner l’homme à Dieu. Prêtre à jamais !

Alors que signifie pour nous participer à cette vie qui aime en s’offrant totalement ? Deux chemins, deux mouvements. D’abord, nous laisser aimer par Dieu, se laisser diviniser, recueillir sa vie et c’est la raison même des sacrements qui nous donnent l’Esprit, le pardon de nos fautes et Jésus lui-même dans l’eucharistie. C’est le mouvement descendant : celui de la divinisation, de notre union avec Dieu, qui appelle le sacrifice, non dans un sens sanglant, mais tout simplement que pour vivre à Dieu, il faut que quelque chose meure : le vieil homme et son orgueil. Ensuite, vivre selon l’Esprit : c’est le mouvement ascendant : celui de la sanctification, de notre progression dans notre foi, dans une charité active envers notre prochain. C’est cela le sacerdoce de notre baptême : se laisser aimer par Dieu et répondre à son amour par notre amour, être une hostie vivante dira saint Paul. Avec le Christ, et en Lui, s’offrir pour le monde, dans la communion d’un peuple devenu prêtre, prophète et roi et que nous appelons Église.

Alors où se trouve le sacerdoce des prêtres ? En trois lieux. Tout d’abord. Comme le décrivait le pape François, dans une pyramide inversée, en-dessous. Ils ne sont pas les grands, les super-chrétiens, mais des serviteurs qui donnent le trésor immense d’un roi. Ils ne disent pas : « vous êtes là pour me servir » mais « servez-vous ! Demandez-moi le conseil d’un frère en Christ, l’enseignement de l’Église, la vie de Dieu, son baptême et le pardon de Dieu ». Ces ouvriers de la moisson sont là pour faire des saints, des amis de Jésus, aller chercher les brebis perdues de son troupeau. Il serait idiot de les confondre avec Dieu. Ils ne sont que ses mains lors des sacrements tout comme les catéchistes ne sont que son porte-voix lorsqu’ils enseignent. Ensuite, ils sont avec vous. Vous n’êtes pas les fidèles du prêtre, du père génial je ne sais quoi et des fidèles des dominicains. Vous êtes des fidèles du Christ et, avec vous, ils le sont. Et enfin, ils sont pour vous. Ils sont les prêtres par lesquels l’Unique grand prêtre continue d’agir et de se donner. Et tout comme soutien, s’il en manque ou s’ils sont défaillants, faibles, voire criminels, le bateau tangue et la perplexité gagne les cœurs. On cherche la solution, on veut tout changer et tout refonder. Le bon Dieu ne demande pas changer ses choix mais de tout réformer, tout convertir, seule voie pour chacun de nous et pour que nous ayons les bons et saints prêtres que le Seigneur et les chrétiens méritent, qui soient des images du seul Grand-prêtre.

Parler du sacerdoce, ce n’est pas parler d’autre chose que de l’amour infini et éternel de Celui qui s’offre pour nous en cette eucharistie. Puissions-nous également nous offrir entièrement et chaque jour de notre existence à Jésus, Lui qui nous aime et en qui nous trouvons grâce, miséricorde et secours. Amen.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*