Marie porte en elle la Parole… de Fr Jean-Thomas.

Marie porte en elle la Parole, Élisabeth celui qui va l ’annoncer…

Marie visite Elisabeth

Mosaïque de la Visitation, Basilique du Rosaire, Lourdes

Lc 1, 39-45

 » D’où m’est-il donné
que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? « 

 

Homélie dominicale de Fr Jean-Thomas: Marie porte en elle la Parole…

Version phonique:

Version écrite:

     Marie porte en elle la Parole, Élisabeth celui qui va l ’annoncer…

   Aussitôt l’Ange de l’Annonciation disparu, Marie se met en route, avec empressement, pour aller visiter sa cousine Élisabeth. Est-ce pour vérifier l’annonce de l’Ange au sujet de l’enfant à naître en constatant qu’il n’a pas menti au sujet de sa cousine ? Peu probable, Marie n’a jamais douté. Est-ce pour aller porter secours à cette parente qui doit affronter une grossesse imprévue à un âge déjà bien avancé ? Sans doute, car la charité la presse. Est-ce pour lui annoncer la nouvelle extraordinaire de sa propre grossesse, tout aussi miraculeuse et même infiniment plus encore ? Probablement.

   Quoi qu’il en soit, voilà Marie sur les chemins. Lorsqu’elle arrive enfin chez sa cousine, l’Écriture nous précise que Marie entre dans la maison et salue Élisabeth. Que s’est-il passé avant cette salutation ? Il y a dû y avoir un grand silence. Ces deux femmes se connaissent à peine : l’éloignement géographique s’ajoute à la différence de génération. Marie, dans la fleur de l’âge, et Élisabeth, déjà repue de jours, se contemplent l’une l’autre dans un grand silence, et un grand étonnement. L’échange de regards entre les deux femmes est intense.

   À la vérité, ni Marie ni Élisabeth ne peuvent encore parler. Ce n’est pas seulement la gêne, ni l’étonnement, qui provoque un tel silence. Ce n’est pas encore l’adoration ni la louange, car Élisabeth ne sait pas encore ce que Marie va lui annoncer. Non, le silence entre ces deux femmes procède d’une raison beaucoup plus profonde.

   C’est que la voix d’un côté, et la parole de l’autre, demeurent cachés. La voix, c’est Jean-Baptiste, dans le sein de sa mère, voix qui criera dans le désert pour annoncer la venue de l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Cette voix n’a pas encore retenti, elle est cachée, muette. Quand on l’entendra, elle fera trembler les cœurs trop engourdis pour une conversion radicale. La Parole, c’est Jésus, le Verbe fait chair, qui dans le sein de Marie n’est pas encore pleinement manifesté. Cette Parole, ce mot d’amour du Père envoyé à l’humanité, n’a pas encore été prononcée à la face de la terre. Quand on l’entendra, Dieu aura tout dit de lui-même, tout sera accompli.

   Élisabeth est littéralement sans voix, et Marie littéralement sans parole. Et pourtant le silence entre ces deux femmes, déjà, dans le secret, dit Dieu. Un secret, ça se murmure, dans un souffle. Et c’est bien l’Esprit-Saint, souffle divin, qui a poussé Marie jusque chez sa cousine, et qui brûle de commencer son œuvre de Révélation du Fils. Le silence était devenu si pesant en Israël, au point qu’on disait : « Dieu se tait, il n’y a plus de prophètes ! » Le prêtre Zacharie, le mari d’Élisabeth, avait subi en sa chair ce silence, devenu muet pour avoir douté que Dieu puisse parler encore. Un si long silence ne pouvait être rompu si facilement.

   Les deux femmes se font face. L’une, jeune comme la grâce dont elle est comblée, comme l’Église dont elle est la figure ; l’autre, vieille comme la Loi qu’elle a observée avec son mari Zacharie, comme la Synagogue dont elle est le dernier feu. Le contraste des âges et la différence de leur situation par rapport à l’Alliance n’est pourtant pas si grand : elles ont le même âge au seuil de la promesse, l’âge d’Adam, d’Abraham, de Moïse, l’âge de l’enfant qui s’avance pour recevoir le Christ-hostie pour la première fois, l’âge de l’enfance par excellence inaugurée au baptême. Elles sont au matin du monde, comme nous le sommes tous lorsque le Seigneur vient faire toutes choses nouvelles dans notre vie.

   Puis, Marie brise le silence en saluant Élisabeth. Là encore, l’Écriture ne nous rapporte pas les termes exacts de cette salutation initiale : ni la voix ni la parole n’ont été manifestés. On sait seulement que c’est Marie qui a pris l’initiative. Et alors, Jean-Baptiste tressaille dans le sein d’Élisabeth. La voix a reconnu la parole toute proche, le dialogue entre Marie et Élisabeth peut commencer.

   Jésus, dans le sein de Marie, ne bouge pas. Aucune réaction de sa part. Dans ce récit d’Évangile, Marie a couru dans les montagnes, Élisabeth a ouvert sa porte, Jean-Baptiste a tressailli, Jésus, lui, Jésus, seul, semble ne rien faire. L’heure n’est pas encore venue, comme il le dira plus tard à sa mère à Cana ? Oui, sans doute. Mais plus profondément, quelle leçon pour nous : alors que tout s’agite, Jésus demeure caché, semble se taire. Invisiblement, c’est pourtant lui qui est le moteur de toute l’action, qui opère par son Esprit-Saint toute cette histoire sainte qui commence autour de lui, en vue de lui. Le secret du discernement spirituel est là : savoir reconnaître Jésus qui agit en nous, en notre prochain et dans les événements, alors même qu’il se tait et semble ne rien faire.

   À la salutation de Marie, Élisabeth répond par une confession de foi. Quels qu’aient pu être les mots exacts de Marie, Élisabeth a compris. Sous la motion de l’Esprit-Saint, elle a compris que Marie portait en elle la Parole, le Verbe incarné que son fils Jean-Baptiste aurait pour charge d’annoncer de sa voix puissante. Lorsqu’Élisabeth s’écrie : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur », c’est bien de Marie qu’elle parle. Mais à vrai dire, Élisabeth elle-même va connaître la joie de la maternité pour avoir cru aux paroles de Dieu. Pour ces deux femmes, une réponse de foi à l’incroyable est le chemin du bonheur. Pour nous aussi : heureux, bienheureux, vous tous ici rassemblés, vous qui avez cru à la Parole que Dieu vous adresse personnellement en cette veille de Noël.

   Si Marie est bien la figure de l’Église, alors cette visite à Élisabeth doit nous être un enseignement : d’abord, c’est à l’Église de prendre l’initiative de venir visiter même ceux qui ne l’attendent pas. Pas de timidité, de peur de déranger, ou de faux respect humain : quand on a la Bonne Nouvelle du salut à annoncer, on y va, tout de suite, avec empressement. Pour cela, il faut marcher, se fatiguer à travers les montagnes et les obstacles de toute nature.

   Si Élisabeth est bien la figure du fidèle recevant une visite de la part de Dieu, alors nous avons un second enseignement : la grâce précède toujours l’effort humain, comme Marie prend l’initiative de la visite à Élisabeth, dont la réponse est seconde. Et la condition de réception de la grâce, c’est l’humilité qui reconnaît tout don de Dieu comme gratuit et immérité, ce que fait Élisabeth en s’écriant : « D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »

   Oui, vraiment, à la veille de Noël, nous pouvons, en le transposant, reprendre ce cri : d’où m’est-il donné que le Fils de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? D’où m’est-il donné que Dieu se révèle comme l’Emmanuel, Dieu-avec-nous ? La réponse est dans le sourire de l’enfant de la Crèche. Adorons dans le silence la Parole qui vient à nous. Amen.

Fr Jean-Thomas op.                                                                                                             Lc 1, 39-45 ; Hb 10, 5-10 ; Mi 5, 1-4

Lien avec la décoration florale du jour: Sur la trace de Marie…