16 juillet 2023 – 15è dimanche du T.O., année A
Is 55,10-11 ; Ps 64 (65) ; Rm 8,18-23 ; Mt 13,1-23
Homélie du frère Jorel François
Quand on est dans la situation qui est la nôtre et qu’on a fini de proclamer une portion d’évangile aussi longue que celle-là, on a envie de s’interroger sur l’opportunité d’une homélie. Y a-t-il encore de la place dans l’attention de l’auditoire pour un mot de plus? Si oui, quoi lui dire et comment s’y prendre pour le lui dire? Jésus n’a-t-il pas donné le sens de la parabole, que peut-on alors en rajouter?
Parce qu’il faut pourtant en dire quelque chose, fût-ce pour respecter l’usage, nous allons nous y atteler. Cela dit, au lieu de nous demander qu’est-ce qu’une bonne ou mauvaise terre ou qui est une bonne ou une mauvaise terre au risque de glisser dans des jugements moraux, plaçons-nous tout bonnement du côté des disciples en reprenant la question qu’ils ont posée : pourquoi Jésus parle-t-il en paraboles?
Déjà il y a ce que l’on veut dire, ce que l’on dit, ce que l’autre vous entend dire et ce qu’il comprend de ce qui est dit. Entre l’une et l’autre démarche, il y a souvent une distance énorme. La parabole vient en rajouter pour ainsi dire à cette distance et à cette difficulté.
La parabole est, comme vous le savez, un genre littéraire qui permet d’évoquer une réalité d’une manière plutôt allusive. On parle alors de la chose ou de la personne sans en parler. On en parle de façon voilée. Alors que l’on peut penser avoir dit, voilà-t-il pas qu’on n’a pas dit. Alors que l’on peut penser n’avoir pas dit, voilà-t-il pas qu’on a bel et bien dit. La parabole permet de créer de la distance, de lever le voile sans tout à fait le relever. Elle permet de conserver le mystère de la chose, de la personne, par respect pour la chose, pour la personne de laquelle ou de qui on parle. Elle permet également de respecter l’auditoire, que l’on pense assez intelligent pour chercher à comprendre par lui-même. Un auditoire adulte, à qui l’on fait confiance. On fait un bout de chemin tout en lui laissant la possibilité de faire l’autre bout. On dit sans dire pour le convoquer à la réflexion. Sapere aude. L’usage de ce procédé littéraire était fréquent au temps de Jésus; les pharisiens en usaient et en abusaient. Pourtant les disciples sont surpris de voir Jésus parler en paraboles. D’où la question, que nous avons faite nôtre.
La parole se loge dans la langue, elle s’exprime au moyen du langage qui ne se réduit pas au son proféré, aux signes linguistiques énoncés, mais qui peut aussi impliquer tout un gestuel. Le langage use de signes, de symboles et comme tel, il a besoin d’être décrypté et interprété. Toute parole, tout acte est forcément énigmatique parce qu’ils sont susceptibles d’équivoque et de contresens.
Jésus, croyons-nous, est parole faite chair, parole devenue une personne. Mais cela ne simplifie pas pour autant le problème. L’incarnation ne réduit pas les difficultés d’accéder au sens. Si c’était le cas, tout le monde croirait sans difficulté aucune.
La personne, pas moins que la parole, ou l’action qui peut être équivoque, est, elle aussi, une énigme. Énigme pour elle-même, parce qu’elle peut échapper à elle-même – d’où le « connais-toi toi-même de Socrate » –, et aussi énigme pour les autres qui peuvent mal la connaître et mal interpréter ses faits et gestes. On ne connaît en vérité d’une personne que ce qu’elle veut bien en dire d’elle-même, pour autant qu’elle se connaisse elle-même. En dehors de ce cadre limité, on peut bien formuler des conjectures, on peut bien imaginer, supputer à son propos, mais son mystère reste entier.
Jésus parle donc en paraboles parce qu’il est lui-même une parabole, le sacrement du Père, le signe de sa présence au milieu des hommes… Et l’évangile annoncé en paraboles, c’est Jésus lui-même. L’Évangile, bonne nouvelle de Dieu pour les hommes, est une méga-parabole.
La bonne nouvelle qu’est Jésus est alors à interpréter. Elle est message, bonne nouvelle adressée à notre intelligence et notre volonté, elle respecte notre intelligence et notre liberté qu’elle sollicite. Elle se fait mendiante, laisse de la place à l’exégèse, à l’herméneutique, aux commentaires, aux interrogations, aux doutes, à la méditation, à la médiation, au ministère, à la pratique pastorale. Parce qu’elle respecte notre intelligence et notre liberté et attend de notre part notre part de travail, elle se fait fragile, vulnérable; elle se livre entre nos mains pour que nous en faisons ce que bon nous semble.
Même si le mystère Jésus reste entier, beaucoup de fidèles dont je fais partie comptent sur la clarté de vos homélies pour en saisir quelques aspects et éviter de faire des interprétations hasardeuses. Vous les pasteurs de Dieu vous nous aidez à mieux connaître Jésus et à orienter la connaissance qu’on a de soi-même vers ses aspirations.