9 juillet 2023 – 14è dimanche du T.O., année A
Za 9,9-10 ; Ps 144 (145) ; Rm 8,9.11-13 ; Mt 11,25-30
Homélie du frère Damien Duprat
« Tout m’a été remis par mon Père », nous a dit Jésus dans l’Évangile. Ce n’est sans doute pas cette phrase que nous retiendrions comme titre pour ce passage ; pourtant, elle peut être un bon point de départ pour la petite méditation que je vous propose maintenant.
« Tout m’a été remis par mon Père ». En disant cela, Jésus fait écho aux paroles du prophète Zacharie qui annonçait dans la première lecture : « sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays » ; autrement dit, sur toute la Terre promise. Mais cette prophétie n’était, pourrait-on dire, qu’un début, un premier aperçu. Le pouvoir du Christ n’est pas limité à tel ou tel pays, ni à telle ou telle époque ; de nombreuses œuvres d’art le représentent d’ailleurs portant dans sa main, dès son enfance, le globe terrestre. C’est le cas de la statue de la Vierge à l’Enfant présente ici. Bien plus, dans l’Église, nous le célébrons comme roi de l’univers tout entier. Avant même de prendre notre chair en Jésus-Christ, le Fils de Dieu a créé le monde conjointement avec son Père et l’Esprit (cf. Jn 1,3). D’autres passages de l’Écriture nous l’affirment : tout pouvoir au Ciel et sur la terre a été donné à Jésus-Christ par son Père qui a tout remis entre ses mains (cf. Mt 28,18 et Jn 13,3).
Il est vrai que cette domination n’est pas évidente à constater, et pourtant elle est bien réelle ; elle est objet de foi. Et puisque Jésus détient une telle souveraineté, il est important pour nous de le connaître, ne serait-ce que pour savoir si son pouvoir constitue d’une manière ou d’une autre une menace pour nous. C’est peut-être pour cela que Jésus tient à nous rassurer dans ce même petit passage d’Évangile en nous disant : « Je suis doux et humble de cœur ». Cela aussi, le prophète Zacharie l’avait annoncé, comme nous l’avons entendu quand il parlait du roi d’Israël qui s’avance pauvre et monté sur un ânon plutôt que sur un fier destrier. Toute la vie de ce roi d’humilité illustre d’ailleurs cette mansuétude : n’a-t-il pas passé son temps à guérir les malades, à chasser les démons, à donner à son peuple les paroles de la vie éternelle ? N’est-il pas allé jusqu’à donner sa vie sur la croix pour nous ? Quelle chance pour nous qu’un homme si doux et humble de cœur soit aussi le Fils de Dieu, le roi de l’univers ! Oui, nous avons tout intérêt à accepter son pouvoir sans aucune restriction, en continuant de vivre en disciples d’un maître si bienfaisant. C’est ainsi que nous sommes les tout-petits qu’il nous appelle à être ; c’est ainsi que nous avons accès auprès de son Père et notre Père, lui qui se révèle aux tout-petits tandis qu’il se cache aux sages et aux savants.
Un petit mot à ce sujet : pourquoi une telle discrimination ? Pourquoi le Père réserve-t-il aux tout-petits la révélation de ses secrets ? Faudrait-il cesser d’étudier la théologie, renoncer à devenir sages et savants au sujet de Dieu ? Vous comprenez l’importance d’une telle question pour nous, Dominicains, qui aimons faire de la théologie, parfois savante !
Mais non, nous le savons bien : ici, Jésus vise non pas tous ceux qui cherchent à connaître Dieu, parfois en faisant des études poussées, mais seulement les fiers qui s’imaginent pouvoir percer le mystère de Dieu par la seule force de leur réflexion. Saint Paul, lui qui était théologien, le dit bien à ses amis de Corinthe : « quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage ou de la sagesse. […] Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (2 Co 2,1-5).
Il s’agit d’admettre que nous ne pouvons connaître Dieu que dans la mesure où lui-même se donne à connaître ; on n’entre pas par effraction dans l’intimité de Dieu. Pour faire de la bonne théologie, il faut nous mettre à genoux devant le souverain de l’univers, Jésus-Christ ; il nous faut reconnaître que c’est seulement par lui que nous pouvons grandir dans l’amitié avec le Père ; telle est l’aspiration la plus profonde de notre être, comme le disait saint Augustin : « tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ». Oui, telle est la foi de l’Église : sans le Christ venu nous sauver, le bonheur véritable serait impossible.
C’est lui, le Christ, qui nous donne de vivre dans la paix intérieure même si nous sommes confrontés à des épreuves. C’est lui qui nous accompagne jour après jour, comme il chemine mystérieusement avec toute personne de bonne volonté, qui peut-être ne le reconnaîtra qu’au jour du jugement (cf. Mt 25). Si par malheur nous refusons son pouvoir, cela ne lui enlève rien ; en revanche, nous avons alors du souci à nous faire pour le jour où nous aurons à nous présenter devant lui pour lui rendre compte de notre vie. Ce jour-là, tout en restant doux et humble de cœur, le Christ s’assiéra sur son trône de gloire. Alors, seuls ceux qui auront fait preuve comme lui d’une bienveillance active seront admis à vivre auprès de lui pour l’éternité. Qu’il demeure donc, dès maintenant et pour toujours, le Souverain de nos vies !