Quand la foi saisit une vie

2 octobre 2022 – 27è dimanche du T.O., année C
Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4 ; Ps 94 (95) ; 2 Tm 1, 6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10
Homélie du frère Jean-Marc Gayraud



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La foi ne s’augmente pas ! Elle n’est pas comme une chose qui pourrait croître selon nos mesures humaines. Tant que nous considérerons la foi ainsi, nous serons toujours en dehors d’elle. Et ce d’autant plus que l’accès à la foi suppose justement un tel renoncement. La foi est l’accueil de la grâce de Dieu, une grâce qui sauve, justifie, sanctifie, recrée, une grâce qui est donnée dans la mesure même ou nous renonçons à s’en faire nous-même une mesure. Il faut donc sortir de toutes ces logiques qui sont celles de nos propres mensurations, qualifications, performances, autant d’ailleurs que nos propres défaillances. Il faut accueillir le don de Dieu pour ce qu’il est : gratuit, immérité, inconditionnel, en aucune manière subordonné à quelque forme d’appréciation de nous-même, face aux autres, devant Dieu.

La foi nous manque dans la mesure où nous sommes de nous-même la mesure, ce qui nous interdit d’être tourné vers Celui-là seul qui nous fonde, donne la foi et par elle nous transforme. La foi est la remise sans réserve de sa vie au Christ sauveur, elle fonde une vie en Dieu et non plus en soi-même. Et sans doute que pour y accéder, faut-il être quelque peu terrassé devant ses propres suffisances ou ses propres manquements, un peu comme St Paul sur le chemin de Damas. Travail de la grâce déjà que celui-là !

Jésus répond donc à rebours de la question qui lui est posée par ses disciples : « augmente en nous la foi ». L’image qu’il utilise renverse la question : la plus petite graine qui soit sert de mesure pour qualifier une foi sans mesure, capable de transporter les montagnes ou de transplanter un arbre dans la mer. En somme, Jésus, à travers cette image, dit à ses disciples : « vous avez tout faux ! » Oui, nous avons tout faux ! Personne ne peut de lui-même avoir la foi ni faire qu’elle augmente aussi peu que ce soit, c’est au contraire la foi qui nous a et qui augmente à proportion de ce bouleversement de toutes nos mesures humaines, toute notre vie, et jusque dans nos propres résistances à la foi. Pas de foi éprouvée sans doute sérieux, sans combat avec soi-même et avec Dieu, sans traversées de déserts, de montagnes infranchissables, de chemins escarpés. La foi remet tout en question comme jamais le penseur le plus sceptique ou le plus nihiliste qui soit ne saurait le faire. Non, la foi n’est pas ce que l’on croit.

Car la foi s’est logée au creux de toutes les contradictions de ce monde pour en transpercer les murs. Elle fait surgir des plus épaisses ténèbres une lumière invincible : le Christ en sa vie et en sa mort, en sa mort et en sa vie, le Christ, notre mort et notre vie. L’attitude requise est désormais celle d’un acquiescement sans réserve à cette initiative et cet agir de Dieu en nous et en ce monde. Un acquiescement qui est aussi originel que les sources mêmes de notre propre vie. La foi est disponibilité toujours nouvelle à tout ce qui excède une vie, quel qu’en soit le cours : paisible, tumultueux, tourmenté. Le mystère de la foi porte notre vie et la déborde de tous côtés. Car il se passe en notre vie infiniment plus que ce que nous ressentons, percevons, expérimentons, vivons. Il n’est en particulier pas d’impasse dont la foi ne puisse en faire un passage.

Dieu est à l’œuvre et le peu que nous en saisissons nous est donné afin de pouvoir cheminer dans ce mystère à hauteur même de nos affaires humaines. Cet évangile nous renvoie à l’humble réalité quotidienne de notre vie avec la figure du serviteur qui n’a d’autre souci que de bien accomplir son devoir. Ainsi doit-il en être pour chacun de nous. La vie de foi s’écrit dans la trame même de la vie, à travers la sollicitation de ses exigences, telle une simple récitation du Credo. Chercher à dépasser sa propre vie sans l’avoir réellement habitée est le contraire même de la démarche de foi. Les subterfuges magiques, ésotériques ou gnostiques expulsent de la vie réelle tout mystère de foi. Ils sont en cela ses plus redoutables ennemis. Car c’est toujours la vie la plus concrète que le mystère de la foi vient héberger et transformer. Entrons donc dans notre vie avec foi et dans la foi avec sa vie. Entrons résolument dans ce mystère. Amen.

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