Qui est mon prochain ?

10 juillet 2022 – 15è dimanche du T.O., année C
Dt 30,10-14 ; Ps 18 (19) ; Col 1,15-20 ; Lc 10,25-37
Homélie du frère Denys Sibre



Le bon Samaritain. Rembrandt, huile sur bois, 1630.

La parabole du Bon Samaritain, nous la connaissons bien. Trop bien peut-être pour qu’elle puisse encore nous surprendre. Et pourtant! La question qui en est le cœur, « qui est mon prochain? », la question du légiste, ce fin spécialiste de la loi, est peut-être aussi la nôtre. Ce légiste s’attendait sans doute à ce que Jésus détermine différentes catégories de proches à aimer: son père, sa mère, ses enfants, son frère, sa sœur, ses amis, ses compatriotes. On peut palabrer longtemps sur un sujet comme celui de l’amour du prochain.

Pour Jésus, pas de distinguos en ce domaine, pas de subtiles discussions. Pour Jésus, l’amour se construit dans le concret de la vie et dans les gestes les plus simples. Alors, il raconte l’histoire de ce Samaritain plutôt étranger au monde juif et qui se laisse attendrir par une victime au bord du chemin. Ceux qui sont passés avant lui ont préféré passer de l’autre côté. Mais lui s’arrête, s’approche, bande les blessures en y versant de l’huile et du vin, charge ensuite le blessé sur sa monture et le conduit à l’auberge en promettant de payer tout ce qu’il faudra. Vous l’avez sans doute remarqué: une succession de verbes d’action qui en disent long: ce Samaritain, il ne se contente pas de faire quelque chose, il fait tout ce qu’il faut faire.

Avec une impressionnante unanimité, les Pères de l’Église nous apprennent à découvrir sous les traits de cet étranger en voyage la figure même du Christ. Cette parabole comme une image du Christ, comme un tableau de sa mission, comme une peinture de son action miséricordieuse. C’est vrai, Dieu en Jésus-Christ a pris le temps de s’arrêter auprès de l’homme blessé sur le bord de la route de l’histoire.

Et cet homme blessé, c’est vous, c’est moi, c’est nous tous, humanité d’ici et d’ailleurs, humanité d’aujourd’hui et d’hier, humanité de tous les temps et de tous les lieux si souvent marquée par la maladie, les violences, les guerres, le rejet, le racisme, les larmes. Contemplons ce Samaritain si bon qui a su se faire si proche de l’homme blessé, de tous les hommes blessés.

Ce Samaritain en voyage est notre frère et notre Dieu. Visage de Dieu au visage si humain, Dieu si proche et si remué jusqu’au fond de ses entrailles par la misère des hommes. Il n’a pas fait semblant de s’arrêter à nos côtés, il n’a pas fait semblant de nous regarder. Et ce n’est pas sur sa monture qu’il nous a pris, c’est sur lui même: « Il a porté nos misères » disait déjà de lui le vieil Isaïe. Et de son côté le psalmiste de chanter: « Il s’est penché vers moi et il écouta mon cri » (Ps 39 (40), 2). Nos plaies, en réalité, il les a bandées, celle de la haine en pardonnant, celle de la trahison en aimant jusqu’au bout, celle de la mort en ouvrant une brèche d’avenir. Oui, ce bon Samaritain a pris notre peau et il a tout payé en amour. Parce que seul l’amour peut rendre la beauté perdue, parce que seul l’amour peut guérir celui qui a été battu et laissé au fond du fossé.

Et l’histoire ne s’arrête pas là: le blessé est conduit à l’auberge. Nous sommes en droit de penser, toujours en compagnie des Pères de l’Église, que Jésus, à la fin de sa vie, a confié toute l’humanité à son Église. L’Église, oui, comme l’auberge de l’humanité en souffrance. Et cette Église, elle est inlassablement invitée à verser le vin et l’huile des sacrements sans jamais oublier de montrer celui qui en est la source.

Cette histoire, frères et sœurs, c’est l’histoire de Dieu avec les hommes. C’est l’histoire de la Sainte Histoire. C’est la proclamation pour qui sait l’entendre de ce que Dieu a fait et fait encore par son fils Jésus.

La question centrale était, vous vous en souvenez: mais qui est mon prochain? Ce qui veut dire: qui dois-je aimer? Qui dois-je privilégier? De qui puis-je m’absenter en ce domaine? Et Jésus de répondre aussitôt: « ne t’absente de personne! » Approche-toi de toute personne! Fais ton prochain de toute personne.

Je n’ai pas à choisir mon prochain selon mes goûts, mes conceptions, mes opinions.

Jésus nous invite à un véritable décentrement de nous mêmes. Ce n’est pas moi qui suis le centre, c’est l’autre qui est le centre et c’est dans le concret de la vie que j’ai à me faire proche de lui.

Mon prochain, c’est souvent celui dont je m’écarte pour garder ma tranquillité. C’est souvent celui qui me demande alors que je suis fatigué. C’est souvent celui qui tend la main pour avoir une pièce pour manger un bout de pain, ou boire un café.

L’attention à la personne rencontrée, telle est l’attitude demandée par Jésus. C’est l’urgence des urgences.

Frères et sœurs, laissons le Christ aimer en nous et par nous. C’est de nous qu’il a besoin pour être aujourd’hui bon Samaritain sur la route des hommes.

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