S’aimer les uns les autres selon le Christ

Si cette portion d’évangile est choisie pour nous inviter à nous préparer déjà à la fête de l’Ascension qui s’en vient, elle est toutefois à placer dans le cadre du repas de Pâque précédé du « sacrement » du lavement des pieds, ce geste symbolique posé par Jésus à la veille de sa passion pour montrer à ses apôtres quel type de rapport ils devaient avoir les uns avec les autres : des relations empreintes d’humilité et pénétrées de charité fraternelle.

Se courber, s’abaisser, laver les pieds d’un autre, geste humiliant, réservé à l’esclave, qui n’est alors pas un homme pour autant qu’il est considéré comme étant la propriété d’un autre. Modèle de la charité pourtant qui devrait exister non seulement entre chrétiens mais entre tous les hommes, et surtout des chrétiens pour les non chrétiens, puisque l’amour du Christ et donc de Dieu, dans l’évangile, est universel, sans exclusive et que le chrétien, disciple du Christ est en quelque sorte un autre christ.

S’inspirant sans doute de cet événement si dégradant, si dérangeant, l’Apôtre Paul écrira : que chacun estime l’autre supérieur par rapport à lui…

C’est dans ce même contexte d’invitation à la charité fraternelle qu’il est aussi question de trahison. En effet Jésus a signalé la présence de traîtres parmi les Apôtres, de trafiquants d’êtres humains qui, tels les fils de Jacob qui ont vendu Joseph, vendent pour une bouchée de pain, leur frère, leur maître, leur Dieu…Voilà qui n’empêche pourtant pas Jésus de réitérer l’amour qu’il a pour nous nous et du même coup celui que nous devons avoir les uns pour les autres.

Dans le premier Testament, nous sommes passés de la logique du massacre, de la vengeance sans merci à celle d’une vengeance plus modérée, une justice plus humaine, le devoir d’une stricte réparation énoncé à travers la loi du talion déjà présente dans le code d’Hammourapi (Ex 21, 24-25). C’est encore cette loi que nous retrouvons reformulée dans le deuxième Testament à travers l’énoncé : « ne faites pas à autrui ce que vous n’aimeriez pas qu’il vous fasse ». Ou encore en termes plus positifs : « tout ce que vous aimeriez que les autres fassent pour vous, faîtes le pour eux aussi » (Mt 7, 12). C’est en quelque sorte la logique de la rétribution, de la stricte justice où l’amour de soi est alors la mesure de l’amour d’autrui : aime les autres comme toi-même. Et bien sûr, dans le contexte du deuxième Testament, l’amour de Dieu et du prochain sont un, en sorte que celui qui dit aimer Dieu et qui n’aime pas son prochain comme lui-même et comme Dieu est un menteur.

À la veille de sa passion, Jésus invite à aller encore beaucoup plus loin : se décentrer en prenant plutôt comme mesure de l’amour que nous devons avoir les uns pour les autres l’amour de Dieu même pour chacun de nous (Jn 13, 34; 15, 12). Dans son amour pour nous, Dieu s’est fait homme en Jésus Christ et a donné sa vie. Il est telle la veuve qui a tout donné, tout déposé dans le tronc. Donner sa vie pour autrui, signe de l’amour total, sans mesure (Jn 15, 13).

Et c’est alors que nous étions ennemis de Dieu, rappelle l’Apôtre, que Dieu en Jésus s’est donné pour nous. Si donner sa vie pour un ami est déjà grand, témoigne de la qualité de l’amour que ce dernier est aimé, l’amour des ennemis est encore plus grand : il est incomparable, sans mesure. Et c’est de cet amour-là que nous sommes invités à nous aimer les uns les autres. Pas seulement d’un amour entre proches, mais aussi entre lointains, des proches qui peuvent être à bien des égards des lointains. C’est à ce prix, nous dit Jésus, que le monde croira, et reconnaitra que nous sommes d’autres christs.

L’autre peut être ingrat, il peut être un ennemi, un traître, il est quand même aimé de Dieu, pas pour son péché certes, mais il est aimé quand même, pour lui-même, parce qu’il est fils ou fille de Dieu. L’amour de Dieu en Jésus nous invite à l’aimer tel qu’il est aimé par Dieu, tout ingrat, ennemi ou traître qu’il soit (Lc 6, 32-36). Scandale difficile à accepter; des paroles trop dures, et comme d’autres avant nous, nous nous demandons qui peut les accepter. Et, ruse de la raison, nous nous évertuons à trouver de belles échappatoires, des excuses…

L’amour inconditionnel, universel, et donc du prochain comme du lointain, de l’ami comme de l’ennemi, c’est le commandement laissé par Jésus à l’Église, c’est le seul et unique commandement chrétien, le seul qui fait que tout le reste ait un sens, le seul qui surprend, étonne et glorifie vraiment Dieu.


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