Argent: ami ou ennemi ? de Fr Emmanuel Pisani

l'argent: ami ou ennemi ?
Lc 16, 10-13

 » Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent « 

Enregistrement et texte de la prédication:
25ème Dimanche, Luc 16, 1-13
Argent: ami ou ennemi ?
Autrefois, sur nos billets en francs étaient dessinés le portrait ou la photo d’illustres personnages : Voltaire, Racine, Delacroix et jusqu’à Saint Saint-Saint-Exupéry…
Aujourd’hui, sur nos billets d’euros, à dieu les visages des Lumières, à dieu le petit prince… à la place on trouve des portes et des ponts.
Tout un symbole : l’argent permet d’aller à la rencontre de l’autre, de sortir de son chez soi, de son enfermement, de découvrir des mondes jusqu’alors inconnus. L’argent est comme un pont ; il est un outil extraordinaire d’ouverture, de rencontres. Il est un décloisonnement des identités fermées et des nationalismes exacerbés.
Cette idée positive de l’argent tranche avec des siècles de considérations accusatrices où il n’a cessé d’être dénoncé pour ses effets dévastateurs sur le cœur de l’homme. Deux siècles avant la naissance de Jésus, Plaute écrit une pièce, La marmite, où il peint l’histoire d’un homme pauvre qui a trouvé un trésor… dans une marmite. Depuis, sa vie est chamboulée mais le trésor, loin de lui apporter quiétude et sérénité l’a entraîné dans une continuelle angoisse car il craint de le perdre, un peu comme ces détenteurs d’actions qui regardent le cours de la bourse plusieurs fois par jour sur boursama.com et vivent dans la crainte quotidienne que le cours ne dégringole ou qu’un nouveau choc financier vienne réduire comme une peau de chagrin la valeur de leur trésor.
Plaute inspirera vingt siècles plus tard Molière. Mais ce que l’auteur de L’Avare dénonce ce n’est pas tant l’angoisse que l’argent suscite chez Harpagon que le fait qu’il dessèche le cœur. Le riche ne voit plus le pauvre, il ne veut pas le voir ; le riche s’enferme dans son argent et est incapable d’imaginer ce que vit le pauvre et qu’il pourrait le soulager ; son regard est sec à son égard : pas surprenant que les plus grands généreux sont souvent des pauvres, tout simplement parce qu’ils savent se mettre à la place de l’autre.
Mais la dénonciation séculaire des turpitudes dues à l’argent ne s’arrêtent pas là. Zola, Balzac et aujourd’hui Pascal Bruckner, ont fait la description la plus aigüe de ses dérèglements : de l’obésité américaine à la prostitution, de l’obsession de gagner au loto à l’oisiveté paresseuse du jeune rentier, du travailleur acharné qui travaille plus pour gagner plus oubliant qu’il a une femme et des enfants au fraudeur fiscal qui détient un compte en Suisse ou au Panama et qui s’enrichit comme le loup de Wall- Street sur le dos des pauvres, l’argent est comme un dieu multiface capable d’atteindre, de régir et de contaminer toutes les dimensions de notre vie.
Alors l’argent est-il un ami ou un ennemi ? Est-il un vice ou l’outil de la vertu d’amitié ? Est-il une folie possible pour l’individu et la cause d’un chaos à l’échelle d’une cité, d’un pays, ou de la planète ou bien le vecteur d’une communauté internationale pacifiée qui permet l’échange, la rencontre, le partage ?
Qu’est-ce que l’Evangile nous enseigne ?
Constatons que plusieurs fois, Jésus nous parle d’argent. Il semble être maudit comme en témoigne cette parole redoutable de Jésus: «Il est plus aisé à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche de rentrer au royaume des cieux». L’argent est ainsi présenté comme le principal concurrent de Dieu : Entre Mammon et Dieu, il faut choisir. L’argent est une idole que l’on doit donc rejeter.
L’Evangile de ce jour est une interpellation très forte, qui vient bousculer nos habitudes, nos ceintures financières de sécurité et qui nous pose cette question : à quoi tenons-nous ? Qui voulons-nous servir ? De qui voulons-nous être le disciple ? Et à quoi sommes-nous prêts à renoncer pour rendre à Dieu ce qui lui appartient, pour rendre à nos frères ce que nous leur devons, pour construire notre vie sur la foi en la providence, libérée de l’angoisse de manquer, et confiante en la réalité de la sobriété heureuse ?
 Ces questions sont essentielles et leur acuité ne s’est pas ternie ces dernières années. En les posant, en les scrutant, elles orientent notre lecture d’une parabole à première vue décapante. En effet, nous découvrons que Jésus ne fait pas l’apologie dans cette parabole de la malhonnêteté mais s’il fait l’éloge de cet intendant mal avisé, c’est non en raison de sa malhonnêteté que du bon sens qu’il a su témoigner. L’homme est clairement perspicace, intelligent et fin stratège. Il a su trouver une solution face à la situation difficile dans laquelle il se trouvait. Il a su user de sa raison pour rebondir. Cet évangile est l’évangile du rebond et de la résilience. Quand cela ne va pas, sois perspicace, ne baisse pas les bras, ne t’enferme pas sur toi-même dans les larmes ou la désolation. Regarde l’intendant malhonnête, il a réussi à ne pas sombrer dans la misère et ce qui est sidérant, c’est que cet homme croit en l’amitié : il se fait des amis et cette amitié, cette confiance en la reconnaissance que l’autre aura envers lui est sa planche de salut.
Aussi, Jésus invite-t-il ses disciples à se faire des amis et à avoir confiance en ses amis. L’argent est sans doute un excellent serviteur mais un si mauvais maître.
Vous le comprenez, Jésus bien sûr ne nous encourage pas imiter la malhonnêteté de ce gérant indélicat, mais c’est comme s’il nous disait : quand cela ne va pas, apprends à être aussi ingénu. Sois aussi finaud que cet intendant mal avisé. Mais il va plus loin et nous demande de regarder dans notre vie ce qui nous permettrait de la vivre pleinement, sans nous égarer sur son but et sur les moyens de l’atteindre, sans nous tromper sur ce qui peut nous faire vivre et ce qui peut nous faire mourir.
Choisis le véritable maître, choisis celui qui ne trompe pas, choisis celui qui ne disparaît pas comme une peau de chagrin, choisis celui que nul ne peut voler, que nul ne peut désagréger. Choisis le maître de la vie et non son ersatz, choisis celui qui peut tout, c’est-à-dire Dieu.

Fr Emmanuel PISANI op.

Lien vers la liturgie florale du jour: Il faut choisir