Tout commence en cette nuit !

16 avril 2022
Vigile pascale
Gn 1,1 – 2,2; Ps 103 (104); Gn 22, 1-18; Ps 15 (16); Ex 14,15 – 15,1a; Cantique de Moïse (Ex 15); Ez 36,16-17a.18-28; Ps 41 (42); Rm 6,3b-11; Ps 117 (118); Lc 24,1-12
Homélie du frère Jean-Marc Gayraud


« Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée ».

Rappelez-vous, faites mémoire. Une espérance invincible habitait votre cœur. Aux jours les plus heureux de votre vie, tandis que, sans le savoir, l’horizon commençait déjà à s’obscurcir. La promesse de vie était la plus forte, vous étiez dans la Galilée de vos jours heureux. Rappelez-vous, faites mémoire, il annonçait déjà sa passion et sa mort, une incompréhensible affirmation alors. L’évidence du bonheur qui vous envahissait occultait la redoutable dimension de cette épreuve. Rappelez-vous vos jours heureux, ce pur bonheur qui a traversé un jour ou l’autre votre vie comme autant d’éphémères instants d’éternité. Ils étaient gorgés de promesses d’avenir, d’une irrésistible sève de vie. Rappelez-vous, faites mémoire : vous ne vous êtes pas trompés.

Mais il y avait loin de ce bonheur-là à ce dont il n’était en réalité que le signe et la promesse. Vous ne vous êtes pas trompés, vous ne faisiez seulement que balbutier les notes d’un chant dont la secrète mélodie vous était encore bien inaccessible. Ces notes-là étaient justes, le chant ne devait, ne devra vous être révélé que beaucoup plus tard. Tout droit surgi du silence de Dieu, il doit se forger à coup de rythmes syncopés, de dissonances imprévues, de fausses notes retravaillées, de reprises inattendues, de silences prolongés, de développements insoupçonnés. Autant de moments qui jalonnent toute une vie, des plus paisibles aux plus éprouvants, des plus purs aux plus obscurs. Ce chant ne sera pleinement dévoilé qu’une fois nos pas définitivement accordés au rythme du Ressuscité, au jour du grand passage. Non, cette vie n’a rien d’une fatalité : une histoire de grâce la traverse de part en part. Elle n’est pas un leurre, elle est un signe. Elle n’est pas une œuvre à boucler, elle est appel à enfin commencer.

Ce chant est aussi personnel qu’universel. Il doit en particulier traverser toute la douleur des âges pour pouvoir nous livrer sa joie éternelle. Il en est un peu de lui comme de ce « cante jondo », ce chant gitan des origines, si magnifiquement célébré par Garcia Lorca, je cite: « Il vient des races gitanes, traversant le cimetière des années, et les frondes des vents fanés. Il vient des premières larmes et du premier baiser ».

Premier baiser et premières larmes, diaphane et lointaine figure annonciatrice d’une aurore sans déclin. Ne remontez donc à la source que pour vous élancer vers l’avant. Ce chant de source ne vous appelle du fond de la nuit que pour vous projeter vers une aurore inconnue. Pour passer d’une aurore à l’autre, de l’aurore qui s’enfuit à l’aurore sans déclin, il fallait traverser la nuit du passage, être coulé dans le creuset de la Pâque. Il fallait que cette aurore s’élevât du tréfonds même de la nuit. Car il fallait en finir avec nos ténèbres. Non, Dieu ne nous trompe pas et nous ne nous sommes pas trompés. Mais maintenant, il ne faut plus chercher le Vivant parmi les morts. Que meure donc en cette nuit tout germe de mort et qu’advienne à jamais ce qui demeure ! Tout commence en cette nuit !

Que passe donc le Ressuscité en notre vie et que notre vie passe dans le Ressuscité. La nuit interminable est en train de passer, de passer à l’aurore sans déclin. Il n’est plus ici, son corps est absent. Ce corps, signe de la marque du temps, de la pesanteur des nuits et des jours, de la souffrance du monde, de l’histoire des hommes, ce corps absent est signe maintenant de sa présence en corps de Gloire. Notre charnelle humanité a traversé le mortel de sa vie et elle est en train de s’engendrer à la vie éternelle. Cette vie d’en haut qui vient à surgir au plus bas de la nôtre, l’Église du Ressuscité nous la communique au baptême. Nous avons la joie cette nuit de le célébrer pour Stevens et Lilian. Rendons grâce au Seigneur, le Vivant de notre vie, le Ressuscité d’entre les morts, mémorial éternel de notre éternelle joie !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*