« Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent »

18 septembre 2022 – 25è dimanche du T.O., année C
Am 8,4-7 ; Ps 112 (113) ; 1 Tm 2, 1-8 ; Lc 16, 1-13
Homélie du frère Jorel François



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« Travailler, c’est trop dur, et voler, c’est pas beau, demander la charité, c’est quelque chose que je ne peux pas faire ».

Vous vous souvenez, sans doute, de ce petit refrain folklorique, qui a fait le tour du monde francophone! Le travail a beau être un moyen d’épanouissement, de réalisation de soi, une façon de se rendre utile à soi-même et aux autres, il ne demeure pas moins souvent pénible. Travailler, c’est dur : cela prend de l’énergie, du courage, il suppose, entre autre chose, de la discipline et de la méthode… Mendier la charité prend de l’humilité, beaucoup d’humilité, il suppose que l’on reconnaisse et accepte sa fragilité, son impuissance. Et tout comme voler, mendier peut avoir quelque chose d’immoral, en tout cas de franchement répugnant et de dégoûtant, surtout lorsqu’on est jeune et ingambe, en pleine possession de toutes ses capacités physiques, intellectuelles et morales, et que l’on est susceptible d’être soupçonné de fainéantise, de paresse.

Alors, comment s’y prendre, réduire autrui en esclavage, ce qui aurait pu être, à une autre époque, une excellente échappatoire, est aujourd’hui juridiquement et moralement condamnable; comment faire pour vivre et maintenir une vie digne, au moins en apparence, lorsqu’on ne veut pas ou ne peut plus travailler, lorsqu’on a perdu son travail?

C’est, apparemment, la question que pose l’évangile d’aujourd’hui. Je dis « apparemment » car nous avons ici sous les yeux une page d’évangile difficile. Ses difficultés découlent du fait que plusieurs textes semblent y être imbriqués ou même placés bout à bout. On s’en rend vite compte si l’on suit la trame du récit avec un peu d’attention. Ce texte est fait, parait-il, de briques et de brocs.

Il y est question de patron et d’employé ou plus précisément d’intendant. Mais il y est aussi question de chose à garder, de biens, d’argent, de reçus de dette. Le travail de l’intendant consiste à gérer les biens du patron. Voilà qui remet en mémoire le récit de Genèse où il est question de premiers humains créés pour garder le jardin, notre maison commune, et le cultiver. Mais voilà-t-il pas que le gérant fait mal son travail. Un gérant apparemment incompétent, désinvolte, malhonnête. Au lieu de bien administrer les biens du patron, cet employé malhonnête se met à les gaspiller (v. 1). Et le patron s’en rend compte. On comprend alors qu’il veuille le renvoyer. Il ne peut se permettre de continuer de maintenir à ce poste cet homme qui, au lieu de faire fructifier le capital, le dilapide, l’appauvrit.

En bon patron qui connait son code, qui respecte les droits des employés, avant qu’il ne le mette à pied, il le convoque pour tirer les choses au clair. À l’employé de rendre compte de sa gestion (v. 2), et au patron de lui montrer qu’il ne peut plus continuer de le garder en raison de sa mauvaise gérance. Et même, il lui donne le temps de chercher peut-être un autre emploi. Et ce dernier, comment réagit-il?

Notre homme, au lieu de faire son mea culpa, se repentir, et peut-être ainsi pouvoir conserver ce poste, ou encore au lieu de se mettre à chercher un travail qui lui aurait permis de continuer de vivre dignement, résolument malhonnête, continue de s’enfoncer dans la gabegie, le gaspillage et la fraude… Dans son insouciance, il convoque le plus grand client du patron, d’un coup de plume, il diminue sa dette de moitié. Dans sa feinte légèreté et son incurie, il convoque encore un autre, diminue sa dette d’un cinquième (v. 5-7). Certes, l’évangile ne le dit pas, mais c’est très probable que ce gérant malhonnête a dû convoquer encore d’autres clients…, et tout ceci, dans l’unique but de se construire un capital de bonne renommée aux dépens du travail qui lui avait été demandé de fournir, dans l’unique but de mettre ses vieux jours à l’abri du besoin, se construire une petite retraite aux dépens de ce patron qui l’avait embauché (v. 3-4). On comprend que le patron ne puisse être content d’un tel agissement! Il ne peut surtout pas en faire l’éloge!

Et pourtant, l’évangile nous dit le contraire! Plus encore, alors que d’une part, le texte exhorte de faire des amis avec « l’Argent trompeur » (v. 9), il estime, d’autre part, que si on n’est pas digne de confiance avec ce qui ne nous appartient en propre, personne ne nous confiera ce qui nous appartient personnellement. C’est peut-être exactement l’inverse que l’on aurait dû lire, mais ce qui est écrit est écrit.

En bonne logique, on ne s’attend pas à de telles considérations, contradictoires presque. Du coup, on comprend mal le dénouement de la parabole. On a l’impression que Luc force un peu sur les matériaux qu’il a reçus de la tradition pour nous en dire une parole d’évangile.

Le sens de cette parabole se dessine déjà pourtant dans le verset 10 : « Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande ». Au verset 13, le message se fait péremptoire, incisif, catégorique : Aucun domestique ne peut servir deux maîtres… Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent ».

L’évangile nous presse de décider : savoir si vraiment nous sommes avec Dieu ou avec autre chose. Et il semble, qu’en pareille matière, il ne peut y avoir de demi-mesure, de demi-choix. Ou bien nous aimons Dieu, ou bien nous aimons les idoles (v. 13). C’est la logique du tiers exclu. Il s’agit de savoir ce que l’on veut, et prendre les moyens pour l’avoir.

Nous avons le devoir de préférer Dieu à toute autre chose. Nous avons le devoir de l’aimer par-dessus tout : l’aimer de toutes nos forces, de tout notre être (Dt 6, 4). Cohérence et radicalité qui vont peut-être au-delà de nos capacités humaines. Mais la lettre à Timothée que nous avions lu au début de cette eucharistie nous convoque à la prière. Prions donc notre Dieu, demandons lui la grâce de l’aimer, de le servir avec un cœur sans partage. Amen.

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