7 juillet 2024 – 14e dimanche du T.O., année B
Ez 2,2-5 ; Ps 122 (123) ; 2 Co 12,7-10 ; Mc 6,1-6
Homélie du frère Marie-Philippe Roussel
Faut-il parler de ce qui se passe ? Faut-il évoquer plutôt ce qui demeure ? Certains d’entre vous trouveraient irresponsable de taire l’actualité. D’autres trouveraient inconvenant de rajouter une voix supplémentaire à ces aboiements répétés dans les médias depuis plusieurs semaines. Cependant, si l’homélie est juste un commentaire de plus, à quoi bon se rendre en ce lieu ? Autant allumer la télévision. Si nous sommes en cette église ce soir, c’est que la voix que nous voulons entendre n’est pas celle d’un rhéteur, d’un politique éloquent et charmeur. C’est une voix que nous n’entendons que si nous faisons taire les autres. Si nous mettons de côté nos a priori et nos soi-disant certitudes, contrairement aux habitants de Nazareth. C’est la voix d’un serviteur, d’un charpentier, d’un pêcheur. C’est la voix d’un homme. C’est la voix de Dieu, le Verbe fait homme. Que nos oreilles l’écoutent pour que Dieu s’incarne dans nos vies. Que nos cœurs soient brûlés du feu qui anime son Cœur Sacré. Face aux hommes politiques d’hier, d’aujourd’hui et de demain, dont les discours promettent monts et merveilles, comme si notre salut reposait entre leurs mains, nous avons un pêcheur qui nous offre l’ancre de l’espérance, un charpentier le bois de la croix, un serviteur un cœur qui ne cesse d’agir en notre faveur. Vous avez reconnu la croix de nos voisins, la croix de Camargue.
Ancre de l’Espérance. Cette ancre est celle d’un navire, celle de l’Église, une, catholique et apostolique. Il y a des bons marins, des clandestins, des opérateurs et des officiers. Leur unité ne leur vient ni de leur sang, ni leur nation, ni de leur langue. Elle vient de Dieu qui fait d’eux une seule famille, concitoyens des Cieux, chargés de parler le langage de la charité. Cette ancre est enfoncée dans la terre en qui elle trouve sa solidité. Terre du Royaume des Cieux, terre de la vie de Dieu. L’Espérance se fonde, non sur nos forces ou nos projections humaines, mais sur la puissance de Dieu, elle qui se déploie dans notre faiblesse. Nous sommes arrimés à Dieu par les sacrements, par notre dialogue continu avec Lui, par les saintes Écritures et le magistère. Si le désespoir ou la tiédeur nous guettent, c’est le moment de nous enfoncer davantage dans cette vie qui a montré son visage au soir de Noël et qui ne cesse depuis de révéler sa face. L’ancre est solide mais l’eau dans laquelle elle se trouve est trouble. Trouble comme est notre temps. « Il faut aimer son siècle, non ses erreurs » écrivait le Père Cormier. Notre temps a ses grâces que nous devons apprécier. Il a ses désordres dont les générations futures auront honte : désordre où le faible, l’enfant et le vieillard, les rejetés, les discriminés et les exclus ne semblent plus être la priorité de notre action commune mais juste les victimes collatérales d’un système qui se veut parfois ouvertement antichrétien. Ne disons pas que nos temps sont mauvais, écrivait saint Augustin. Soyons bons et les temps seront bons.
Ancre de l’espérance et Bois de la Croix. Notre foi se vit dans les douleurs de nos vies, de nos blessures, de nos épreuves. C’est dans ces conditions que nous mettons notre foi en Dieu, dans ces ténèbres de l’existence que nous sommes appelés à L’aimer et à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Notre croix ne doit pas façonner notre cœur comme les fils d’Israël à qui Ezéchiel est envoyé. Leur visage est devenu dur, leur cœur obstiné. La croix appelle notre persévérance dans l’apparent échec ou inutilité de nos actions. Tel Paul qui a compris que c’est dans ces moments que le Seigneur se fait d’autant plus proche. La Croix dit autant la dynamique du mal que celle du bien. Dynamique du mal où les forces invisibles et visibles agissent pour tromper les cœurs et les esprits, les façonner à l’image d’un monde qui passe et qui ignore que le salaire du péché est la mort. Dynamique du bien où nos chemins de Croix sont également des chemins de Résurrection. Où notre orgueil, nos projets de refonder l’Eglise à nos vues et à nos convenances, paraît bien ridicule par rapport à la sagesse divine. Aucune réunion ou programme pastoral n’a amené des âmes à Dieu : seule la charité du Christ ; seule la charité des chrétiens.
Car si nous sommes ancrés dans l’Espérance, fermes dans la Croix et dans la foi, c’est pour vivre pleinement. Vivre de la vraie Vie. Celle que nous commençons sur terre. Celle qui n’aura pas de fin au Ciel. Où Dieu sera tout en tous, où son cœur brûlant d’amour pour nous manifestera à quel point nous sommes attendus, chéris, pardonnés, relevés. Nous sommes les plus malheureux du monde si nous mettons notre espoir en ce monde, si notre désespoir justifie notre inaction, si le Christ n’est pas ressuscité, si nous ne sommes pas appelés à une vie nouvelle.
Apprenons à discerner les faux prophètes : ceux qui désirent nous donner une prière non tournée vers le monde à venir, nous offrir une religion sans croix, une vie sans cœur. Reconnaissons humblement que nous sommes parfois trompés, que nous pouvons tromper également autrui. Que nous voulons parfois tromper les autres en leur disant et nous disant ce que nous voulons entendre : que nos actions n’auront pas de conséquences éternelles, que la foi peut se contenter de bonnes paroles, d’une bonne intention, qu’il n’y a ni péché d’esprit ni péché de chair, que nous pouvons méconnaitre, sans nous tromper, les Écritures et l’enseignement de l’Église, comme si nous pouvions séparer la Tête du corps, comme si nous pouvions séparer le Christ de sa bouche qui est l’Église. Soyons attentifs à notre tendance à la paresse et à l’orgueil.
Chers frères, chères sœurs, aidons-nous à demeurer dans l’Espérance, la Foi et la Charité. Que le Christ qui demeure éternellement façonne en nous le chrétien qui passe sur cette terre. Dans sa vie personnelle, familiale, professionnelle et politique. Que nous vivions entre nous ce que nous désirons voir vivre dans le monde. Et que le monde ait la joie de son Sauveur.