Depuis décembre 2008, l’église du couvent de Montpellier accueille 8 grands tableaux du fr Kim o.p. (Couvent de l’annonciation de Paris) représentant les 8 béatitudes. Nous avons demandé au Fr. Laurent LEMOINE, OP. admirable connaisseur de son oeuvre de nous introduire.
« Le monde », pour retenir un terme peu flatteur sous la plume de l’Evangéliste Jean, « le monde » aime ce qui décore, l’ostentation vaine de gens et de carrières qui s’exposent les uns aux autres, qui font la roue les uns devant les autres. Le monde recherche ce qui lui sert, ce qui lui est utile, utilitaire, utilitariste.
C’est le négoce froid de ceux qui cherchent à « performer » leurs résultats, à vendre ou à se vendre ou à vendre les choses et les vies d’un revers de main. Le chaos économique actuel est le prix à payer.
C’est ainsi que l’on cherche à devenir populaire ou people.
C’est parfois ainsi que l’on cherche à être aimé se précipitant encore et encore derrière un leurre !
C’est ainsi que l’on accumule décorations sur la poitrine ou dans les églises. « Sic transit gloria mundi »!
Le travail du Père Kim ne brille pas. La popularité n’est pas son « souci », comme on dit de nos jours. Maximaliser ses gains de reconnaissance auprès d’un maximum de gens n’est pas au programme d’une œuvre qui offre gratuitement des couleurs, des traits, des points à l’homme qui se laisse toucher, « piquer » le cœur, comme les Pères le disaient.
Au plus intime d’un itinéraire parfaitement singulier, un chavirement se produit mystérieusement : le choc salutaire d’une toile, d’un bout, d’un tout petit bout de toile, de quelques points disposés l’un à côté de l’autre, d’un rayon ensoleillé qui, en révélant la beauté du vitrail ou de la toile, vient vous révéler ce qui, en vous, était encore ignoré à vous-même. Le Père Kim nous aide à lever un moment – celui de la contemplation – le voile pour laisser se manifester un mystère qui devient de plus en plus impénétrable au fur et à mesure que vous commencez à le balbutier.
Cette expérience est étrangère au monde. C’est l’expérience que Jésus réservait aux pauvres et aux petits : la leur réservant, tel un Dieu jaloux, elle devient universelle en tout homme qui, par elle, apprivoise la bienheureuse petitesse de son âme en laquelle la grâce gratuitement donnée déploie la force qui désentrave de toute amertume.
Le Père Kim recherche la libération. Son travail éternellement recommencé exprime ce tourment mieux que des mots. En tout cas, est-ce ainsi que le Père Kim, comme tout chrétien, cherche en se donnant, en donnant aux autres son œuvre, à toucher la frange du vêtement de l’Auteur de tout Don.
Emmaüs fut si fugitif : à peine le pain était-il rompu que, déjà, Jésus s’échappait. Le Thabor : les plus proches de l’étonnant rabbi venaient peut-être enfin de comprendre quelque chose à la destinée de Celui qu’ils suivaient depuis si longtemps, quand Celui-ci refusa de se laisser enserrer dans l’emprise, même la plus légitime qui soit.
L’oeuvre du Père Kim fait entrer l’homme de bonne volonté dans l’expérience de l’Autre que l’on cherche à aimer, dont on découvre quelques aspects, dont on aime, de façon alchimique, le connu et l’inconnu en lui, en moi, en Dieu. C’est une œuvre qui ne fige pas le regard sur elle, sur l’Autre, mais qui le libère en direction d’un horizon tantôt soleil déclinant sur un mystère de fuite, tantôt levant sur l’Oriens de la Création Nouvelle.
C’est alors que la même toile est tout autre. C’est alors que l’artiste est acculé à faire de l’Autre avec du même. C’est alors que votre contemplation, de toile en toile, est à chaque fois différente, alors qu’elle réclame toujours le même temps long de la méditation, ce que « le monde » est inapte à faire.
Certains « verront » une chose ; d’autres, tout autre chose : c’est bien, c’est juste. Dans une même prédication, certains entendent tout autrement les propos du même prédicateur. L’Esprit œuvre, non seulement du côté de celui qui offre la poésie de ses couleurs, mais aussi du côté de l’œuvre intérieure de celui qui reçoit en son âme la création de l’artiste. Le plus artiste des deux : qui est-ce ? Celui qui donne ou celui qui reçoit ? La seule réponse est qu’aux deux, il faut un troisième qui les unisse : au nom de l’Amour, de l’Aimé et de l’Amant !
Fr. Laurent LEMOINE, OP.